On dit que lorsque Manny «Pacman» Pacquiao monte dans l'arène, le pays entier des Philippines s'immobilise, y compris les milices rebelles et l'armée qui décrètent une trêve.

Pacquiao, le boxeur numéro un au monde, affrontera le Mexicain Antonio Margarito samedi au stade des Cowboys de Dallas et puisque les Philippines sont un peu loin, passons dans la Petite Manille de Montréal, c'est-à-dire aux alentours de la station de métro Plamondon dans l'arrondissement de Côte-des-Neiges.

En sortant de terre, vous savez tout de suite que vous êtes dans un coin spécial. Une foule de petites personnes asiatiques qui semblent toujours sourire, des Noirs, des Maghrébins, une synagogue et des boutiques d'articles religieux hébreux. J'ai failli m'acheter un mur des Lamentations miniature.

On parie combien?

Mais les Philippins sont en majorité. Ils ont leurs restaurants, leurs épiceries et leurs boutiques de produits et souvenirs du terroir, qui se trouve à 20 heures de vol de Montréal.

Quand vous leur dites que vous êtes journaliste, ils vous regardent de la tête aux pieds avec un air inquiet et méfiant. Lorsque vous ajoutez que c'est pour parler de boxe et de Manny Pacquiao, on vous remercie avec de grands sourires.

Une petite dame me demande si je veux gager. Je réponds oui. Je mets 2$ sur Margarito. Tout le monde autour se met à rire fort et je m'aperçois que je viens de faire un fou de moi.

Je gage 200$ sur Pacquiao! répond la dame qui me regarde comme si j'étais un authentique épais.

Au restaurant PAPA, Edwin me dit que Pacquiao est un héros national et son idole.

«Quand il se bat, j'achète le combat à la télé et mon restaurant se remplit. On ne peut même plus bouger.

«C'est un garçon très religieux qui vient d'un milieu très pauvre. Comme boxeur, il obéit à ses entraîneurs et il dit toujours qu'il a encore des choses à apprendre.

«Il aime chanter, mais ce n'est pas un fêtard. C'est un homme de famille qui a trois enfants. Il donne beaucoup d'argent à des oeuvres de charité et même dans la rue quand il est entouré d'une foule.

«Ce combat pourrait être son dernier. Si Floyd Mayweather refuse toujours de l'affronter, je crois qu'il va prendre sa retraite. Il a 32 ans et s'est beaucoup battu.

«J'aime le message qu'il envoie aux jeunes: apprenez et voyagez.»

Au Tim Hortons

Il faut savoir que Manny Pacquiao est député et qu'on le soupçonne de viser la présidence du pays. Il ne nie pas.

Edwin: «Ça n'arrivera probablement pas.»

Où rencontrer d'autres Philippins?

«Va au Tim Hortons. Ils jouent aux échecs là-bas.»

J'avoue que je n'y aurais pas pensé. Une dizaine d'hommes flânent au Tim, ce qui fait d'eux de véritables Québécois.

Je voudrais vous parler de Manny Pacquiao ...

«Veux-tu gager?»

Non, je ne veux pas gager.

Felipe m'explique qu'ils iront tous voir le combat à la brasserie Las Vegas (!) du centre commercial Côte-des-Neiges.

«Je ne dirais pas que c'est un héros national, mais un homme qui a travaillé très fort pour se sortir de la misère. Un bel exemple. Il a grandi dans la vraie misère dans ce pays qui compte seulement des gens très riches ou très pauvres. Pas de classe moyenne.

«Je ne suis pas certain qu'il va gagner. Margarito est beaucoup plus grand et lourd que lui. Pacquiao a déjà été battu. Et puis Margarito est un boxeur salaud...»

Il faut savoir qu'Antonio Margarito a déjà été suspendu pour avoir «chargé» ses gants, la plus vieille escroquerie du monde de la boxe, qui en connaît pourtant plusieurs. Il lui est interdit de boxer, sauf au Mexique et au Texas, d'où le stade des Cowboys qui contiendra 70 000 personnes ce jour-là.

Georges, l'ami de Felipe, a des doutes lui aussi. «Je donne à Pacquiao huit chances sur 10. J'aimerais qu'il gagne pour qu'il continue à donner de l'argent aux pauvres des Philippines.»

Est-ce que Pacquiao pourrait être président un jour?

«Nooon! Impossible. De toute façon, tous les Philippins veulent être président.

«Vous devriez y aller. Les gens sont gentils comme ici au Québec. Un homme comme vous aurait beaucoup de plaisir aux Philippines. La plage, le soleil, les femmes...»

Ce à quoi Felipe ajoute: «À condition de ne pas vous faire tuer.»

Porc aux anchois

Dans un petit resto philippin, Philippe, justement, et non pas Felipe, jeune homme souriant à veston-cravate, a fait le voyage en 2006.

«Héros national est un peu exagéré. Pour moi, les héros nationaux sont ceux qui ont chassé les Espagnols. Mais Pacquiao est une bonne nouvelle dans ce gâchis que sont les Philippines. Je dirais peut-être que c'est un héros moderne, une belle image au milieu du malheur et un bon exemple pour les jeunes.

«Président? Tout est possible dans la vie, mais là, c'est un peu tiré par les cheveux. Je ne crois pas qu'il ait les compétences pour administrer un pays.»

Je ne partirai pas sans ramener un plat typiquement philippin. Philippe sera mon guide...

Je montre du doigt quelque chose en sauce rouge. C'est bon?

«C'est du porc aux anchois, avec piments et champignons fermentés. Vous goûterez la fermentation. Très bon.»

Vendu.

Et Philippe met un dessert dans mon sac.

«Je vous l'offre.»