Vous traversez le pont Papineau en direction de Laval et vous voyez à votre droite le barrage Pie-IX. Vous tournez à droite au boulevard Lévesque, vous vous approchez du barrage et vous voyez des pêcheurs urbains. Certains jours, ils sont des centaines, tassés comme des sardines, sans jeu de mots.

Des gens de toutes les nationalités et de tous les âges, des gens qui n'auraient jamais l'occasion de se parler ailleurs, mais qui forment une sorte de confrérie, la confrérie de l'alose, pourrait-on dire.

«On passe la journée en plein air et au bord de l'eau, ça ne coûte rien et on se fait aussitôt des amis», explique un monsieur d'origine maghrébine, chauffeur de taxi de son métier.

Lofti Chikh, un employé de Bell Canada, en est à une quatrième visite. Sa femme, voilée, est bien installée sur une chaise longue et semble très à l'aise. «Je n'ai rien pris aujourd'hui; mais jusqu'à maintenant, j'ai fait quatre prises et j'ai mangé deux dorés après les avoir bien examinés. Je vais certainement revenir.»

Serge, le vieux pro

Lofti pêche à côté d'un vieux pro, Serge Pitre. «Je viens ici depuis 32 ans. J'ai commencé à 14 ans. Je suis chauffeur à la STM et je prends trois semaines de vacances chaque année pour venir pêcher ici ou dans les petites baies autour.»

Serge mange l'alose seulement, ce poisson de mer qui vient frayer chaque année à la même date. Un poisson combatif, apprécié des pêcheurs. «Ce poisson-là n'est pas contaminé. Il y a beaucoup d'arêtes par contre. Il faut savoir le couper en filet. Je ne mange pas les autres poissons. Je les remets à l'eau ou je les donne à ceux qui en veulent. Je viens ici surtout pour le sport.»

Les autres poissons : doré, esturgeon, brochet, achigan, maskinongé... Tout est bien réglementé et des policiers passent de temps en temps pour voir si tout se passe dans l'ordre. Un joyeux ordre d'ailleurs, alors qu'une dame asiatique d'un certain âge crie sa joie d'avoir sorti une alose de cinq livres. (Vous avez droit à cinq prises sur votre chaîne, comme disent les pêcheurs dans leur jargon particulier.)

Serge Pitre nous donne quelques trucs: quand les pissenlits sont en mousse blanche et que le lilas a fleuri au maximum, l'alose est arrivée. Il recommande une jig de 3/8 d'once qui ne s'enfonce pas dans le courant, qui est assez fort.

Évidemment. Serge fabrique ses propres jigs - nous, on dirait leurres, mais pas les pêcheurs de la rivière des prairies. Un jig est un jig !

Les marchands ambulants

Parlant de jig, il y a six ou sept marchands ambulants pour vous vendre ce dont vous avez besoin.

Pierre Cousineau, bien installé sous son parasol, le fait depuis 23 ans. «Je fais tout à la main. C'est de l'artisanat. Vous ne trouverez pas ça dans les boutiques de sport. J'utilise des queues de chevreuil pour les plus gros jigs.

«Je ne fais pas ça pour gagner ma vie, je suis agent de sécurité. C'est une passion. Je passe la journée au bord de l'eau et je pêche.

«Et puis, je donne les premiers soins aussi. Quand il y a beaucoup de monde, il y a de bons pêcheurs et de mauvais pêcheurs. C'est moi qui enlève les hameçons qui se plantent dans votre dos ou sur votre tête. Je vous conseille de garder vos verres fumés pour protéger vos yeux. Au cas...»

D'autres pêcheurs arrivent et on se croirait à une réunion des Nations Unies. Sauf que dans ce cas, les nations sont vraiment unies sous un beau soleil et une petite brise plaisante.

Certains se rendent au milieu de la rivière en chaloupe. D'autres portent des longues bottes et s'avancent dans l'eau pour pêcher à la mouche.

Un monsieur asiatique voit mon collègue photographe et il nous fait de gentils reproches. «À cause de vous, les journalistes, il y a de plus en plus de monde. On était plus tranquilles avant...»

Les prochaines semaines, jusqu'à la mi-juin, seront les plus achalandées.

Serge Pitre vous recommande de surveiller les rats musqués qui peuvent voler ce qu'il y a à votre chaîne...