Sans surprise, le ballon de l'immigration a encore rebondi en campagne électorale. La Coalition avenir Québec court après le ballon. Le Parti libéral court après le ballon. Le Parti québécois court après le ballon. Seul Québec solidaire, en retrait, dit : « Moi, je ne joue pas à ce jeu-là. Il y a des enjeux plus pressants. »

S'il est vrai qu'il y a des enjeux plus pressants, je ne suis pas de ceux qui croient qu'il faudrait éviter de parler d'immigration. C'est le propre des sociétés démocratiques et matures de pouvoir débattre de façon civilisée des enjeux les plus complexes et les plus délicats. Alors parlons-en. Comme, de toute façon, on semble en parler déjà...

L'ennui, c'est qu'on en parle sans en parler vraiment, juste pour haranguer la foule ou salir son adversaire en occultant les enjeux véritables. L'ennui, ce n'est pas qu'on en parle trop, mais qu'on en parle le plus souvent très mal, avec comme seul effet de polariser les points de vue.

On en parle comme d'un produit de consommation à commander en ligne. Offre exclusive d'ici le 1er octobre. Grand solde d'immigrants. Faites vite ! En voulez-vous en format familial ou individuel ? En prendriez-vous 30 000, 40 000 ou 50 000 ? Préférez-vous la version française en stock limité ? La version facilement exploitable et si possible muette ? La « made in China » ? Avec ou sans signe ostentatoire ?

Avec l'option « retour dans son pays » en cas d'échec au test de français ? Ou encore l'option « sans famille », garantie « sans mauvaise surprise » ? Des conditions s'appliquent. Ne prenez aucun risque. Une grand-mère allophone est si vite arrivée... Et ça, pour l'avenir d'une langue minoritaire en Amérique, c'est très, très dangereux.

Croyez-moi, je parle en connaissance de cause. Ça me fait de la peine de le dire, mais c'est vrai. En moins de deux générations, la langue s'est perdue chez nous. Mes enfants ne connaissent de l'arabe que des noms de desserts syriens.

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Si on s'intéressait vraiment à l'immigration et à l'intégration, on en parlerait autrement. On verrait par exemple que la méconnaissance du français n'explique pas, comme le laisse croire le « débat » politique, les taux de chômage élevés et le déclassement professionnel de trop nombreux nouveaux arrivants.

« Établir une telle relation de cause à effet occulte le fait que les taux de chômage élevés touchent principalement les immigrants originaires d'Afrique du Nord et d'Afrique subsaharienne qui, dans la grande majorité, parlent très bien le français ! C'est aussi ignorer le fait que leurs enfants - les enfants de la loi 101 - rencontrent eux-mêmes des obstacles dans leur intégration au marché du travail... », rappelle Marie-Thérèse Chicha, professeure à l'École de relations industrielles et titulaire de la Chaire en relations ethniques de l'Université de Montréal, dans une analyse éclairante publiée la semaine dernière.

Alors que faire ? Si on s'intéresse vraiment à l'immigration, si on veut mieux accueillir les gens, il faudrait oser parler de lutte contre les discriminations, par exemple. Cela devrait être un enjeu prioritaire.

La discrimination à l'emploi est bien documentée par des études sérieuses. On sait qu'à CV identiques, un Mostafa ou un Mamadou a moins de chances d'être convoqué en entrevue qu'un Martin. On le sait, mais on est incapable d'en parler sereinement et de proposer des solutions. Le sujet, caricaturé à l'extrême, est devenu tabou. 

Après avoir voulu mettre sur pied une simple consultation sur la discrimination systémique, le gouvernement libéral a reculé et vite rayé l'expression de son vocabulaire. Et nous voilà revenus à la programmation habituelle qui consiste à parler d'immigration sans s'en soucier vraiment.

C'est ainsi que dans le débat électoral, l'immigrant est tantôt une chose nuisible qui risque de mettre en péril l'avenir de la nation, tantôt un business lucratif. Tantôt un remède, tantôt une maladie. Tantôt un sauveur, tantôt un fossoyeur. Tantôt un appât, tantôt un épouvantail.

En écoutant les discours de part et d'autre, ce qui me frappe surtout, ce n'est pas tant que l'immigrant soit jugé utile ou inutile, mais à quel point il est utilisé, même par ceux qui prétendent le défendre. Comme s'il n'était qu'un ballon, jetable après usage, tout juste bon pour marquer des points. Mais qu'on ne s'y trompe pas. À ce jeu, tôt ou tard, tout le monde est perdant.

Lisez l'analyse de Marie-Thérèse Chica

Consultez une étude sur les CV et la discrimination à l'emploi de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse