« Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout. »

J'ai pensé à cette réplique du film Le guépard de Luchino Visconti en prenant connaissance des résultats du sondage Ipsos qui fait état d'un grand désir de changement chez l'électorat au Québec.

Ce qui me frappe surtout dans les résultats, ce sont les nombreux paradoxes qu'il met en lumière. Ce grand désir de changement curieusement assouvi par la Coalition avenir Québec (CAQ), un parti qui, s'il nous change du Parti libéral du Québec (PLQ), s'enligne vers un changement dans la continuité, hormis quelques pas plus à droite sur le chemin identitaire.

Autre paradoxe qui m'intrigue : ces électeurs qui se disent satisfaits et mécontents en même temps. Sur le plan personnel, il fait beau, tout va bien. Et pourtant, sur le plan collectif, rien ne va plus, disent-ils. Comme si la somme de bonheurs personnels se transformait mystérieusement en ras-le-bol généralisé.

Troisième paradoxe qui me réjouit et m'inquiète en même temps, à la manière des électeurs contents mécontents : ces électeurs qui, en choeur, disent ne pas vouloir que l'on instrumentalise le débat usé sur les accommodements (alléluia !) mais qui, dans le regard qu'ils portent sur l'immigration, montrent que l'instrumentalisation a, hélas, déjà fait son oeuvre.

Lorsque 76 % des répondants estiment que les immigrants « nous imposent trop souvent leurs valeurs et leurs religions », c'est signe que la parole politique et médiatique, qui tend depuis des années à parler de l'immigrant essentiellement comme d'un problème, a fini par creuser un fossé entre la perception et la réalité.

Dix ans après la commission Bouchard-Taylor, la légende selon laquelle l'immigré type est un ultrareligieux qui exige des accommodements aussitôt débarqué de l'avion éclipse la réalité de l'immigré type diplômé qui ne demande au fond qu'une chose : qu'on lui donne sa chance, avec un emploi à la hauteur de ses compétences.

Ce fossé entre la perception et la réalité est bien visible aussi dans les réponses au sondage portant sur l'accueil des réfugiés : 71 % des répondants trouvent que le Canada et le Québec sont allés « trop loin » en accueillant « trop » de réfugiés.

Trop, vraiment ? Il ne s'agit pas de minimiser l'élan de solidarité qui a notamment permis, depuis 2015, de donner une deuxième vie à 50 000 réfugiés syriens au Canada. Il s'agit simplement de mettre cet élan en perspective. On l'oublie, mais la grande majorité des réfugiés dans le monde (85 %) restent dans des pays voisins de ceux qu'ils fuient. La Turquie, le Pakistan, le Liban, l'Iran, l'Ouganda et l'Éthiopie sont les principaux pays d'accueil. Plus de huit millions de réfugiés sont répartis dans ces six pays.

En comparaison, lorsque le Canada s'engage à réinstaller 9000 réfugiés par an, c'est certes une bonne nouvelle pour tous ceux que la guerre ou la persécution a chassés de leur pays. Mais globalement, loin d'être la mer à boire, cela ressemble plus à une goutte d'eau dans l'océan. D'où cette question : lorsqu'on trouve son pays « trop » accueillant tout en disant rêver de changement et d'égalité pour notre société, de quoi rêve-t-on au juste ?

Photo Olivier Jean, Archives La Presse

Dans le sondage Ipsos récemment réalisé pour La Presse, les Québécois ont exprimé un grand désir de changement curieusement assouvi par la Coalition avenir Québec (CAQ) de son chef François Legault.