« Quelqu'un vous a-t-il un jour donné une chance ? » Tout a commencé un jour de mai, avec ces mots et une vidéo envoyés par Mostafa Annaka dans ma messagerie « cachée » sur Facebook - celle où atterrissent les « invitations » de gens que je ne connais pas. C'est un coin sombre de ma messagerie que je ne consulte pas assidûment. Car disons que je n'y reçois pas que des messages d'amour ou d'intérêt public.

« Quelqu'un vous a-t-il un jour donné une chance ? »

Les mots de Mostafa, jeune immigré qualifié, diplômé en génie, qui, après quatre ans d'efforts et l'envoi de 1000 C.V., n'avait reçu aucune réponse, m'ont interpellée. Parce que je savais que son histoire était celle de trop d'immigrés. Et que même si on aime croire que, dans la vie, chacun « fait » sa chance, le fait est que l'on est presque toujours redevable à quelqu'un qui, un jour, nous a donné une première chance.

J'ai donné rendez-vous à Mostafa le lendemain matin. À l'époque, il travaillait dans un café. Il avait obtenu de son patron la permission de commencer sa journée un peu plus tard pour pouvoir faire l'entrevue.

Les larmes aux yeux, Mostafa m'avait raconté sa course à obstacles. Cela faisait donc quatre ans qu'il travaillait avec acharnement pour décrocher un premier emploi dans son domaine, le génie électrique - un domaine où, selon Emploi-Québec, les perspectives d'emploi sont favorables. En vain. Il avait pourtant un parcours exemplaire. Il avait appris le français. Il s'était bien intégré. Il avait obtenu son permis d'ingénieur junior au Québec. Il avait parfait sa formation avec une deuxième maîtrise obtenue à Montréal. Il avait tenté de se tisser un réseau...

Voyant que rien de tout ça ne fonctionnait, il s'était résolu à faire une vidéo racontant son histoire dans l'espoir que cela touche les gens. C'était une idée de sa belle-mère québécoise, Catherine Dutil, qui était peinée de voir que tous les efforts de ce jeune homme brillant qu'elle aime comme son fils ne menaient à rien. À une autre époque, elle aurait accroché une banderole sur un pont. À l'ère des réseaux sociaux, une vidéo aurait sans doute plus de résonance, s'est-elle dit. La suite des choses lui a donné raison.

Photo Ninon Pednault, Archives La Presse

Mai dernier : Mostafa Annaka a enfin trouvé un emploi dans son domaine après des années de recherche. Il célèbre avec sa copine Rachelle Dutil et sa belle-mère Catherine Dutil.

Six mois plus tard, le Mostafa que j'ai retrouvé est un nouvel homme. Un homme heureux qui savoure le luxe de pouvoir travailler. « C'est une autre vie », dit-il, ému.

À la suite de sa vidéo devenue virale - elle a été vue près de 200 000 fois -, il a décroché un premier emploi dans son domaine chez Construction St-Arnaud, une entreprise de Trois-Rivières spécialisée en génie électrique. Il a commencé comme adjoint chargé de projet. Après seulement trois mois de travail, il avait déjà une promotion. Il est désormais chargé de projet. Son patron, Javier Paredes, n'a que de bons mots pour lui. « On espérait trouver quelqu'un qui s'investit dans son travail. Et il l'a vraiment fait dès sa première journée. »

Comme c'est sa première expérience dans son domaine au Québec, Mostafa avait beaucoup à apprendre. Mais jamais son patron n'a regretté de lui avoir donné sa chance. « Il a mis beaucoup, beaucoup d'efforts. Il a été à la hauteur de ce qu'il promettait dans son message. On a trouvé un bon gars ! »

Rachelle Dutil, la blonde de Mostafa, qui l'a épaulé dans ses démarches, est bien sûr ravie du dénouement. « C'est surréel. Même si ça fait six mois, pour nous, c'est comme si ça faisait deux jours ! »

Le contraste entre sa vie avant et après la vidéo est saisissant. « Avant, Mostafa vivait ici avec un gros nuage sur la tête. La vie était toujours un peu grise, même quand on découvrait des choses ou qu'on faisait des activités. Il y avait toujours ce problème qui le gardait préoccupé. Aujourd'hui, son emploi lui permet de se projeter dans le futur. Ça l'aide à s'enraciner et à vraiment apprécier la vie au Québec. »

Pour Mostafa et sa famille, le temps des Fêtes sera particulièrement beau cette année. Après un Noël aux côtés de sa famille québécoise, il ira, avec Rachelle, rendre visite à sa famille en Égypte. Ce sera leur première rencontre depuis que Mostafa a décroché un emploi. « On a hâte de les voir. Eux aussi, ils sont tellement contents ! Ils n'ont pas saisi l'ampleur de l'histoire parce qu'ils ne parlent pas français. Mais c'est vraiment une grande joie pour eux de voir Mostafa s'épanouir au niveau professionnel. »

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Le travail de Mostafa l'amène sur différents chantiers à travers la province. Il découvre le Québec et l'aime un peu plus chaque jour. Et le Québec le découvre aussi. Il croise parfois des gens qui n'ont jamais rencontré un étranger de leur vie. « Une dame m'a demandé : "Est-ce que je peux toucher tes cheveux ?" », raconte-t-il, amusé.

Parfois, sur la route, il repense à la longue traversée du désert qu'il a vécue. Quatre ans à se demander ce qui ne tournait pas rond. « C'était très difficile. Je pense aux gens dans la même situation. Personne ne mérite de vivre ça. Une chance qu'on est capable d'oublier », dit-il, la gorge nouée.

Un aussi long passage à vide laisse des séquelles et peut miner la confiance en soi, constate Rachelle. « Oui, l'injustice est réparée. Mais en même temps, il ne faut pas se leurrer. Quand on vit une expérience difficile comme celle-là, ça laisse des traces. »

Enseignante en francisation, Rachelle sait que le dur parcours de Mostafa est celui de bien des gens. « Il faut les accompagner, nos immigrants. »

Mostafa s'en est fait une mission. Une fois qu'il aura cumulé un an d'expérience québécoise et réussi ses examens pour troquer son titre d'ingénieur junior contre un vrai permis d'ingénieur, il veut donner un coup de main à ceux qui traversent le même désert que lui. « J'aimerais vraiment aider d'autres immigrants. Je veux être disponible pour le programme de parrainage de l'Ordre des ingénieurs du Québec. »

À ceux qui frappent à des portes auxquelles personne ne répond, Mostafa conseille de ne pas se décourager. « Il faut être optimiste et ne pas lâcher son objectif d'immigration. Si tu es venu au Québec comme travailleur qualifié, tu as été accepté pour pouvoir travailler dans ton domaine. Tu n'as pas été accepté pour venir travailler dans un café ou dans une usine. Même si c'est difficile, il faut passer à travers et trouver d'autres moyens non traditionnels pour trouver un emploi. »

Ni lui ni Rachelle ne pensaient qu'une simple vidéo les mènerait aussi loin. « On a travaillé fort pour cette vidéo. Mais c'est un succès qu'on n'espérait pas. »

Ils aimeraient maintenant que ça ne s'arrête pas là et que d'autres puissent bénéficier de l'élan de solidarité que l'histoire de Mostafa a su susciter. « On réfléchit à comment on peut faire une différence. Déjà, s'il y a 200 000 personnes qui ont vu la vidéo, ce sont autant de gens qui ont été conscientisés. C'est en racontant des histoires personnelles que les gens sont le plus touchés. »

Il ne faut jamais négliger le pouvoir de la rencontre, rappelle Rachelle. C'est LA solution pour les diplômés étrangers qui, dans une usine ou un café, attendent encore leur première chance. « Une fois que l'on rencontre un immigrant et que le courant passe, les préjugés tombent et les perceptions changent. »