Faut-il enterrer la consultation sur la discrimination systémique et le racisme, qui semble morte avant même d'être née ?

À mon sens, avant d'en arriver là, cela vaudrait la peine de tenter quelques manoeuvres de réanimation. L'enjeu de l'égalité est trop important pour ne rien faire. Il est aussi trop important pour mal faire les choses. Si on veut que cette consultation serve l'intérêt public plutôt que des intérêts partisans, on ne peut se contenter d'un exercice bâclé. Il faut agir avec rigueur et transparence.

Le gouvernement Couillard fait fausse route en s'obstinant à poursuivre la consultation dans sa forme actuelle. Trois aspects de la consultation posent particulièrement problème : le fait de l'avoir confiée à la Commission des droits de la personne, le huis clos qui caractérisera une grande partie de l'exercice et le mandat beaucoup trop large de la consultation.

Commençons par le premier. Avant même que l'autorité morale de la Commission des droits de la personne soit ébranlée par des plaintes de harcèlement contre sa nouvelle présidente, l'idée même de lui confier cette consultation soulevait un certain scepticisme. Et pour cause.

Il ne s'agit pas ici de douter du savoir-faire de la Commission des droits de la personne, qui a maintes fois mené des travaux fort utiles au débat public et a souvent critiqué de façon courageuse le gouvernement. La question est de savoir si cet organisme étatique sous-financé, qui a lui-même souvent fait l'objet de critiques pour sa gestion lente et technocratique des programmes d'accès à l'égalité, est vraiment l'entité neutre et indépendante capable de mener à bien cette consultation.

S'agit-il du meilleur pilote pour un avion pris en zone de turbulences avant même son décollage ? Pas vraiment. Si la tendance se maintient, le crash semble assuré. La Commission des droits de la personne est à la fois juge et partie dans cet exercice. C'est déjà sa mission de lutter contre le racisme et la discrimination systémique et de faire respecter les droits de tous les citoyens. 

Or, si on organise une consultation sur ces enjeux, c'est que la mission n'a pas été accomplie et qu'elle en est en partie responsable. Mais on voit mal comment elle pourrait s'adresser elle-même des critiques en ce sens.

L'autre hic, c'est que la Commission des droits de la personne est déjà mal perçue par des employeurs qui ont eu maille à partir avec elle et seront peu enclins à prendre part aux audiences. La crise interne dans laquelle est plongée sa présidente ne fait que miner davantage son autorité morale. Si on veut que cette consultation déjà impopulaire soit crédible et utile et qu'elle ne donne pas raison à ses nombreux détracteurs, il faut de toute urgence rectifier le tir. Une solution de compromis serait de confier la consultation à des experts indépendants ayant l'autorité et la distance nécessaires pour piloter cette mission aussi importante que délicate.

Deuxième problème : le huis clos. Une consultation sur la discrimination systémique et le racisme n'est utile que si elle permet de rendre visibles des enjeux invisibles et d'interpeller toute la société dans la mise en oeuvre de solutions. Si on peut très bien comprendre la nécessité de recourir à l'anonymat pour des gens qui craindraient par exemple des représailles de leur employeur, l'essentiel de l'exercice ne peut reposer que sur des témoignages faits à l'abri des médias et du public. On ne règle pas un problème en le cachant.

Donner un visage et des noms à un enjeu de société permet de faire avancer le débat public. En choisissant de mener une grande partie de la consultation derrière des portes closes, le gouvernement Couillard lui retire de facto la portée pédagogique qu'elle devrait avoir. Il laisse ceux qui sont touchés par les problèmes de discrimination en discuter entre eux, sans interpeller l'ensemble des décideurs. 

Il nourrit aussi les nombreux amateurs de théories du complot et de désinformation qui crient au procès secret du peuple québécois et croient que la discrimination systémique est un problème imaginaire.

La meilleure façon de montrer qu'il n'en est rien, c'est de faire de la consultation un exercice transparent bien encadré, capable d'interpeller le public, faits et témoignages à l'appui.

Troisième problème : le mandat beaucoup trop large de cette consultation. Discrimination, racisme, emploi, travail, santé et services sociaux, éducation, logement, sécurité publique, justice, culture, alouette... Dans sa forme actuelle, la consultation abordera tous ces sujets. Or, si on tient à aller dans tous les sens, on n'aboutira à rien. Un mandat plus restreint a beaucoup plus de chances de donner lieu à des résultats concrets.

Il m'apparaît plus réaliste de procéder par étapes. Que l'on s'attaque dans un premier temps aux enjeux de discrimination à l'embauche, ce serait déjà un grand pas dans la bonne direction.

Ces derniers mois, nos politiciens ont malheureusement démontré qu'ils n'avaient pas toujours la hauteur nécessaire pour discuter de ces enjeux délicats, plus pressés de marquer des points contre leurs adversaires que d'aborder le problème de façon responsable. On a vu le premier ministre accuser son adversaire péquiste de faire du « négationnisme ». On a vu le chef péquiste crier au « procès en discrimination systémique » de toute la société québécoise. Rien qui n'inspire vraiment confiance pour la suite des choses.

S'il est vrai, comme le notait mon collègue François Cardinal, que nous ne semblons pas avoir la sérénité nécessaire pour aborder des enjeux aussi explosifs, l'idée de remettre la consultation aux calendes grecques ne m'apparaît pas être un gage de sérénité retrouvée. Ces enjeux seront toujours délicats. Ils ne le seront pas moins dans six mois ou après les élections. Et il est plus facile de les aborder lorsque l'économie se porte bien. Ça tombe bien, c'est le cas en ce moment. 

Si nous sommes incapables comme société de discuter de discrimination à l'emploi en période d'embellie, quand au juste le fera-t-on ? Ce n'est certainement pas en période de crise que l'on arrivera à le faire de façon sereine.

Abandonner la consultation, c'est envoyer un triste message aux citoyens qui vivent la discrimination au quotidien. C'est leur dire : cet enjeu n'est pas assez important pour que l'on vous écoute. C'est nourrir un ressentiment qui ne disparaîtra pas si on l'ignore. D'un autre côté, aller de l'avant avec la consultation dans sa forme actuelle, pour se donner bonne conscience, sans se soucier de bien faire les choses, finira par nuire à la cause que l'on prétend défendre.

Alors quoi ? Renoncer, non. Repenser, oui. Avec respect, rigueur et transparence, au-delà de toute partisanerie. Est-ce trop demander ?