Mon coeur s'est brisé en voyant sa photo, hier matin. Elle s'appelait Saffie. Elle n'avait que 8 ans. Un regard angélique. Un sourire timide qui lui faisait de jolies fossettes. Et la vie devant elle...

Lundi soir, à Manchester, elle était allée assister à un spectacle avec sa mère et sa soeur. Ce devait être festif. Ce fut funeste. Saffie Rose Roussos est l'une des 22 personnes tuées dans l'attentat terroriste du concert d'Ariana Grande. Son destin tragique illustre à la fois l'horreur et l'absurdité de cet attentat-suicide revendiqué par le groupe armé État islamique.

C'était une « belle petite fille dans tous les sens du terme », a confié son professeur au quotidien britannique The Guardian. « Penser que l'on puisse aller à un concert et ne jamais rentrer à la maison est crève-coeur », a-t-il dit. Dans sa classe, une chaise vide pour toujours. Dans le coeur de tous ceux qui l'aimaient, un trou béant. Dans nos têtes, une question sans réponse. Pourquoi ?

Tout acte terroriste est un acte ignoble et cruel. Mais s'attaquer à des enfants, qu'ils soient syriens, nigériens ou anglais, est pire que tout.

Dans le regard lumineux de Saffie, j'ai reconnu celui de mes enfants. Celui de mon plus jeune, tout heureux d'avoir enfin la permission de « veiller » comme son grand frère au concert d'Ariane Moffatt, l'été dernier, aux FrancoFolies. Au milieu d'une foule compacte, où les enfants étaient nombreux, je me souviens de sa main posée au creux de la mienne. C'était trois jours après l'attentat d'Orlando. La chanteuse avait dédié son spectacle aux victimes de la tuerie et à leurs proches.

Mon coeur s'est brisé, disais-je. Combien sommes-nous à avoir ressenti cette cassure ? En imaginant l'angoisse de tous les parents qui attendaient désespérément leurs enfants à la sortie du concert d'Ariana Grande, en imaginant leur peine infinie, je ne peux m'empêcher de penser que c'était là précisément le but. Que le choix de ce lieu festif rempli de jeunes qui avaient la vie devant eux était délibéré.

La logique terroriste consiste à frapper l'imaginaire pour mieux déstabiliser. On s'en prend à des innocents pour briser et terroriser le maximum de coeurs. Pour créer un maximum d'impact psychologique susceptible d'entraîner un maximum d'impact politique. Terrifier pour mieux régner...

À moins de vivre sous une cloche de verre, insensible à la fureur du monde, on ne peut évidemment pas éviter d'être atterré, choqué, indigné. Mais on peut refuser de jouer le rôle qui nous est assigné dans la suite de ce scénario cynique. On peut éviter d'offrir aux terroristes ce maximum d'impact politique qu'ils cherchent à provoquer.

« Pour que l'effet politique soit moindre, il faut que les populations soient solides », rappelait le spécialiste des mouvements djihadistes Yves Trotignon au lendemain des attentats du Bataclan, en entrevue avec ma collègue Isabelle Hachey.

Face aux nouvelles formes que prend la menace terroriste, il faut accepter qu'il est impossible de tout prévoir et faire de la résilience une priorité, disait cet ex-agent secret du service de renseignement extérieur de la France. Cette résilience, c'est la solidarité et la mobilisation des populations civiles. « C'est aussi refuser des mesures précipitées, de céder à la panique ou de considérer tous les musulmans ou les immigrés comme des suspects. La résilience, c'est la capacité de se serrer les coudes. C'est ne pas cacher son émotion, mais ne pas la transformer en effet politique. »

Les yeux rougis, le coeur brisé, je me dis qu'il y a là de sages paroles à méditer. Devant le tragique destin de Saffie et des autres victimes innocentes de l'attentat de Manchester, devant leurs proches inconsolables, devant un monde qui permet que de telles horreurs existent, ne laissons pas des sentiments légitimes se muer en munitions pour djihadistes. Ne cédons pas au chantage terroriste. Refusons la spirale haineuse qu'il provoque. Refusons les solutions simplistes des marchands de peur. Musclons-nous le coeur et l'esprit.