« Durant trois ans, bien que consciente d'avoir vécu un viol, j'ai refusé de vivre mes émotions », écrit Sarah* dans la déclaration remise à la Sûreté du Québec le jour où elle s'est décidée à porter plainte.

Elle y raconte l'état de stress post-traumatique dans lequel elle était plongée. Elle faisait de l'évitement. Puis, un jour, sa mémoire l'a rattrapée. Des souvenirs douloureux l'ont assaillie. Elle avait des flashbacks. « Cela a commencé par des cauchemars où je sentais ses mains sur moi, puis sa bouche contre mon oreille, sa voix qui murmurait dans mon oreille. »

Les souvenirs sont devenus tellement envahissants qu'elle n'arrivait plus à se concentrer. Son anorexie s'est aggravée. « Plus qu'un besoin de contrôle, mon anorexie est devenue une façon de me punir, puis un moyen pour disparaître. » Elle a commencé à avoir des pensées suicidaires.

Je vous parlais samedi des lacunes dans le processus d'enquête policière que révèle le témoignage de Sarah. J'y reviens pour parler des lacunes dans l'accessibilité des services offerts aux victimes qu'il met aussi en lumière.

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En grande détresse, Sarah a tenté, dans un premier temps, d'obtenir du soutien psychologique à l'Université du Québec à Montréal (UQAM), où elle poursuivait ses études. À l'époque - c'était en 2015, après le tumulte du « stickergate », où des autocollants dénonçant la culture du viol avaient été placés sur les portes de bureaux de professeurs -, l'UQAM avait embauché une intervenante en relation d'aide spécialisée en agression sexuelle. Mais comme l'agression alléguée s'était produite avant que Sarah soit à l'université, elle n'avait pas le droit au service, lui a-t-on dit.

On l'a dirigée vers les Services à la vie étudiante. Là, on lui a expliqué qu'il fallait d'abord s'entretenir avec une travailleuse sociale, qui allait juger de la gravité de son cas. À la suite de cette rencontre, elle pourrait avoir le droit à cinq consultations. Si cela n'était pas suffisant, on lui donnerait une référence pour une clinique privée.

Si elle suivait cette voie, il lui faudrait donc raconter son histoire au moins trois fois. Espérant s'éviter ce fardeau, Sarah a cogné à la porte du CLSC Hochelaga-Maisonneuve. Elle a rencontré une travailleuse sociale. C'était la première fois qu'elle en parlait. Jusque-là, seul son copain savait. « La travailleuse sociale ne m'a pas crue. »

Pour voir un psychologue au CLSC, elle devrait attendre environ six mois, lui a-t-elle dit. « À ce moment-là, j'avais des idées suicidaires. Six mois ? Tu te demandes si tu vas être encore là. »

Le soir même, elle appelait une ligne d'urgence du CLSC. Loin de lui avoir permis d'obtenir l'aide dont elle avait besoin, sa rencontre avec la travailleuse sociale l'avait plongée dans un état de détresse plus grand encore. « Je n'arrêtais pas de pleurer, j'avais l'impression d'étouffer et j'avais des idées suicidaires plus prenantes qu'à d'autres moments. »

Son cas n'est malheureusement pas unique. Un rapport récent du Comité permanent de la condition féminine à la Chambre des communes rappelait à quel point il peut être épuisant pour les victimes d'agression sexuelle de trouver de l'aide. Les services sont offerts en vase clos. Les victimes ont du mal à s'y retrouver. Et elles doivent sans cesse répéter leur récit. D'où un certain nombre de traumatismes causés par le système qui pourraient être évités si on avait recours à une approche mieux coordonnée.

Le rapport rappelait par ailleurs l'urgence d'offrir des services de santé mentale plus accessibles aux victimes. « Les services publics de santé mentale sont limités et les périodes d'attente sont très longues. Quant aux services privés, ils sont très coûteux. »

Pour pouvoir se payer une psychologue en clinique privée avec ses moyens modestes d'étudiante, Sarah n'a eu d'autre choix que d'abandonner son logement pour retourner vivre chez sa mère.

À 100 $ la séance, c'était le loyer ou la psy. Le loyer ou la vie.

*La plaignante a requis l'anonymat afin de ne pas nuire à l'enquête en cours.

Informations

63 % : Proportion des victimes reçues dans les Centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) qui ne sont pas crues lors de leur premier dévoilement à des proches ou aux autorités.

De 2 à 12 mois : temps d'attente dans les Centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS)

Les personnes qui ont des idées suicidaires et les adolescentes sont prises en charge immédiatement.

Ligne d'aide provinciale des CALACS : 1 888 933-9007