À quand la révolution ? Du temps qu'elle poursuivait ses études au Caire, la journaliste américano-égyptienne Mona Eltahawy, témoin de la répression au quotidien, se posait toujours la question.

Plus de 20 ans plus tard, des milliers d'Égyptiens, hommes et femmes, se sont retrouvés place Tahrir. «Pain, liberté, justice sociale, dignité humaine !», scandaient-ils.

C'était il y a cinq ans jour pour jour. Le 25 janvier 2011. Une date qui est devenue le nom d'une révolution, avant d'être celle d'un grand désenchantement. Ce jour-là, Mona Eltahawy s'est dit «enfin !» tout en sachant que pour les femmes, il n'y avait pas une, mais bien deux révolutions à mener : l'une pour combattre les régimes qui oppriment tout un peuple, l'autre contre la misogynie.

C'est de l'importance de cette deuxième révolution, aussi inachevée que la première, que parle Mona Eltahawy dans son essai Foulards et hymens - Pourquoi le Moyen-Orient doit faire sa révolution sexuelle (Belfond, 2015).

Photo Goran Tomasevic, archives Reuters

Une opposante au régime égyptien tente de se protéger au milieu d'une manifestation pro-Moubarak, près de la place Tahrir, le 3 février 2011. 

Il y a cinq ans, les Égyptiens se sont débarrassés de Hosni Moubarak. Mais tant que la fureur contre les oppresseurs reclus dans leur palace présidentiel ne se conjuguera pas à une fureur contre les «oppresseurs de la rue», tant que les Égyptiens n'auront pas renversé les Moubarak qui règnent sur leurs esprits, leurs chambres et leurs coins de rue, «la révolution n'aura pas vraiment commencé», écrit l'auteure féministe qui se décrit elle-même comme une «musulmane libérale».

Mona Eltahawy parle en connaissance de cause. Car c'est dans cette nouvelle Égypte libérée de Moubarak qu'elle a été agressée sexuellement par les forces de sécurité en novembre 2011. Elle a été battue. Elle a été détenue. On lui a bandé les yeux. Elle a eu un bras et une main cassés. Mais personne n'est parvenu à casser son indignation et sa colère.

«Je suis en colère pour les centaines de milliers de femmes dont les droits continuent d'être bafoués - souvent d'une manière bien pire que ce qui m'est arrivé à moi - et qui, pour autant, n'ont aucun moyen de partager leur expérience», écrit l'auteure, qui veut user de ses «privilèges» pour se souvenir des millions de femmes qui n'en ont aucun.

Sans mâcher ses mots, Mona Eltahawy pourfend ceux qui réduisent les femmes à leur foulard et leur hymen et elle lance un appel à la rébellion. «Je sais que rien ne fait davantage peur aux islamistes et aux misogynes de tous bords que la revendication de droits pour les femmes et de liberté sexuelle. En dernier lieu, c'est pourtant cela que notre double révolution doit nous apporter.»

Le premier article que Mona Eltahawy a écrit après avoir eu les bras plâtrés pendant trois mois s'appelait «Pourquoi nous haïssent-ils ?». Publié dans Foreign Policy en mai 2012, l'article provocateur avait fait grand bruit. Il a valu à son auteure des fleurs et des pots, des appuis et des critiques. Des réactions qui montrent, selon l'auteure, à quel point la place de la femme dans la société est un sujet explosif dans le monde arabe.

On est là de toute évidence en terrain miné. En Occident, le sujet est instrumentalisé tant par la droite ultraconservatrice que dans les milieux progressistes. Aux intolérants ravis d'entendre à quel point «les» musulmans maltraitent les femmes, Mona Eltahawy aime rappeler que la misogynie n'est pas un monopole arabe et que ceux qui, ailleurs, remettent en cause les droits reproductifs ont plus d'affinités qu'ils ne le croient avec les islamistes. Aux progressistes qui voudraient «sauver» sa culture et sa foi malgré elle, alors qu'ils n'ont pas à subir le déni de ses droits, elle rappelle que le relativisme culturel est tout autant son ennemi que l'oppression qu'elle combat.

Il ne s'agit en aucun cas de demander à l'Occident de voler au secours des femmes arabes, précise l'auteure. «C'est à nous de remporter ce combat, écrit-elle. En revanche, j'adjure nos alliés occidentaux d'être plus attentifs aux droits des femmes et de refuser qu'un certain relativisme culturel ne finisse par justifier de monstrueuses violations de ces droits.»

Cinq ans après la révolution du 25 janvier, alors que l'on se demande si l'Égypte est vraiment plus libre aujourd'hui qu'en 2011, l'enjeu pourrait paraître secondaire. Et pourtant, non. Il est fondamental et urgent, rappelle Mona Eltahawy. Car sans égalité pour les femmes, les révolutions sont vouées à l'échec. Ou pour dire les choses de manière aussi lumineuse que Kamel Daoud : «Quand les hommes bougent, c'est une émeute. Quand les femmes sont présentes, c'est une révolution. Libérez la femme et vous aurez la liberté.»