Avez-vous remarqué? Durant le débat des chefs, chaque fois que Stephen Harper prononçait le mot «réfugiés», il était suivi de près du mot «sécurité».

Que répond M. Harper à l'ancien chef d'état-major de l'armée canadienne Rick Hillier, qui dit que la question de la sécurité est utilisée comme prétexte pour ne pas agir et que le Canada pourrait en faire plus en accueillant 50 000 réfugiés d'ici la fin de l'année?

La question a été posée à M. Harper par mon collègue Yves Boisvert, jeudi soir. Mains posées sur la poitrine, le chef du Parti conservateur a d'abord tenté de rappeler à ceux qui en douteraient peut-être qu'il avait un coeur. «Quand on a vu la photo de cet enfant sur la plage, tout le monde a été touché. Je me souviens de mon fils Benjamin au même âge, courant sur la plage... On est tous touchés par ça.»

Mais ce n'est pas tout d'avoir un coeur... «On doit répondre d'une façon généreuse et responsable. [...] Ce n'est pas le temps de juste ouvrir les vannes. On doit maintenir notre système de sélection des groupes prioritaires et assurer notre sécurité», a dit M. Harper.

Il est faux de prétendre que le gouvernement canadien ne fait rien pour les réfugiés. De nouvelles mesures ont été annoncées la semaine dernière afin de venir en aide plus rapidement aux réfugiés syriens et irakiens. On a éliminé par exemple l'exigence d'une preuve de statut de réfugié pour les personnes parrainées qui ont fui le conflit syrien. On a réduit la quantité de paperasse pour les parrainages privés. On a promis de traiter les demandes dans un délai raisonnable. Le gouvernement prévoit pouvoir ainsi respecter plus rapidement son engagement initial de réinstaller 10 000 Syriens. Ce sera fait d'ici septembre 2016, promet-on.

Toutes ces mesures doivent être applaudies. Pour bon nombre de familles, cela constitue un important pas en avant. Malheureusement, si le Canada promet de faire mieux, il n'a pas vraiment promis d'en faire plus. Son engagement en reste un timide et décevant. «Alors que le nombre de réfugiés dans le monde a fortement augmenté, le nombre de réfugiés réinstallés par le gouvernement canadien n'a pas augmenté du tout», note le Conseil canadien pour les réfugiés (CCR).

Or, contrairement à ce que prétend le gouvernement Harper, il ne serait ni irréaliste ni dangereux d'en faire plus. Il n'y a pas que le CCR et des organismes de défense des droits de la personne comme Amnistie internationale qui le disent, en demandant au gouvernement de s'engager lui-même (c'est-à-dire autrement que par du parrainage privé) à accueillir 10 000 Syriens de plus d'ici la fin de 2015. Des gens comme le général à la retraite Rick Hillier - que l'on ne peut vraiment soupçonner d'être un vilain gauchiste faisant de l'angélisme - le disent aussi. Selon lui, le Canada pourrait très bien, sans compromettre sa sécurité, accueillir non pas 10 000, mais bien 50 000 réfugiés d'ici Noël, avec l'aide de l'armée canadienne.

Et la sécurité, alors? Contrairement aux idées reçues à ce sujet, il est beaucoup plus difficile d'entrer au Canada comme réfugié que comme visiteur, rappelle le CCR. Il faut obligatoirement passer des contrôles de sécurité du SCRS et de la GRC. Il est peu probable qu'une personne désirant commettre un attentat s'expose à de tels contrôles. Il faut aussi rappeler que la loi exclut d'emblée les demandeurs d'asile jugés inadmissibles pour des raisons de sécurité.

«Il faut arrêter d'avoir peur de son ombre», disait à ce sujet, en entrevue à la CBC, l'ex-commandant Hillier. Il est tout à fait possible de mettre sur pied une opération urgente d'aide aux réfugiés sans compromettre la sécurité de quiconque.

«Ce n'est pas responsable de dire qu'on va juste ouvrir les vannes», réplique Stephen Harper, en amalgamant sans cesse réfugiés et insécurité. Comme s'il était plus responsable, au nom d'un délire sécuritaire, d'abandonner des gens en détresse.

Je reçois de moins en moins de lettres de lecteurs par la poste. Mais j'en ai reçu une, il y a une dizaine de jours, de Jacques Nadeau, 76 ans, qui m'a particulièrement touchée.

M. Nadeau m'expliquait à quel point il avait été bouleversé par le destin d'Aylan Kurdi, cet enfant syrien échoué sur une plage turque, devenu le symbole de l'inaction de la communauté internationale. Dans l'enveloppe, il avait déposé 30 $ ainsi qu'une jolie carte. Il souhaitait que je puisse remettre son don et d'autres dons qui pourraient être récoltés au père d'Aylan. Il souhaitait aussi que l'on dépose sur la tombe de l'enfant des mots de compassion traduits en arabe.

«Je voudrais en faire plus, mais, à 76 ans, les moyens sont limités.»

J'ai dû lui dire qu'il me confiait là une mission presque impossible.

«Si vous êtes d'accord, j'envoie plutôt votre don à un organisme qui vient en aide aux enfants réfugiés.»

Il était d'accord. «Faites du mieux que vous pouvez.»

Quand j'entends des commentaires sans compassion sur les réfugiés, je n'oublie pas qu'il y a plein de M. Nadeau dans ce pays.