Depuis quelque temps, Rosine ne dort plus. Il lui faut de toute urgence trouver un travail digne de ce nom. Un travail lui permettant d'être autonome et d'assurer l'avenir de ses quatre enfants.

Rosine (*), vous vous rappelez ?

J'avais raconté son histoire en juin. L'histoire d'une vague de solidarité qui a permis à une mère, réfugiée au Canada, de retrouver ses enfants dont elle était séparée depuis deux ans.

Originaire d'Afrique centrale, Rosine est arrivée au pays en 2013, fuyant des menaces de mort, après que son mari eut été assassiné. Dès lors, elle n'avait qu'un rêve : faire venir ses enfants ici. Un rêve inaccessible pour une mère seule qui travaille au salaire minimum.

Bien des gens sont persuadés que les réfugiés bénéficient d'un généreux filet social. Le fait est que ce « généreux » filet social est de plus en plus troué et que cela n'intéresse personne. Le sort des plus démunis comme Rosine, qui ne demandent le plus souvent qu'à s'en sortir, ne fait l'objet d'aucun débat électoral. Les organismes chargés de leur venir en aide sont eux-mêmes de plus en plus pauvres et peinent à suffire à la demande. Quant à nos gouvernements, ils abandonnent de plus en plus leurs responsabilités.

Rosine ne se plaint pas pour autant. Même si elle n'est pas au bout de ses peines, elle trouve qu'elle a, somme toute, eu beaucoup de chance. La chance d'être acceptée comme réfugiée, elle dont la vie était menacée. La chance aussi de croiser sur sa route Madeleine, une Montréalaise au grand coeur - surnommée « Maman Madeleine » par Rosine - qui, impressionnée par son courage, a remué ciel et terre pour qu'elle puisse retrouver ses enfants et vivre dignement.

Là où le filet institutionnel était troué, un deuxième filet citoyen a été tissé par Madeleine. Grâce à elle et à des dizaines d'inconnus touchés par son histoire, Rosine a pu accéder à ce rêve qui est celui de tous les réfugiés du monde. Un chèque d'aide sociale ? Non. La chance d'offrir une vie paisible à ses enfants.

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Depuis juin, d'autres âmes généreuses, touchées par l'histoire de Rosine, lui ont offert leur appui.

La proposition la plus originale fut sans contredit celle des courtepointières du Cercle des fermières de Boucherville.

Qui sont-elles ? Ces huit courtepointières ne sont pas fermières comme l'étaient leurs prédécesseures, mais plutôt gardiennes d'un patrimoine artisanal. Aussi allumées que discrètes, ces femmes qui fuient les projecteurs perpétuent une tradition d'aide aux plus démunis.

Elles se réunissent deux fois par mois pour travailler ensemble sur une courtepointe. Tout est fait à la main, un fil à la fois. Elles mettent un an pour terminer une seule courtepointe qui sera ensuite destinée à une cause qui leur tient à coeur. Des familles victimes d'un incendie dont la vie est partie en fumée. Des enfants qui ont besoin d'un supplément de réconfort...

Cette année, elles ont choisi Rosine. Elles l'ont invitée à prendre un café un jour de juillet. Elles lui ont offert deux courtepointes. Devant ces jolies couvertures tissées avec amour et patience, Rosine était aussi émue que reconnaissante.

Il y a dans ce geste symbolique, dans cette couverture, tissée ici, posée sur les épaules d'une survivante venue d'ailleurs, quelque chose de profondément émouvant. À l'image de l'accueil que Rosine a reçu au Québec. À l'image de la générosité de Madeleine, de Suzanne et de tous les autres qui ont épaulé Rosine et sa famille.

« C'est magnifique », me dit Rosine, qui ne cesse de répéter à ses enfants à quel point ils sont privilégiés. « Dans la tête de certaines personnes, les gens généreux n'existent plus. C'est faux ! J'ai trouvé ici une deuxième famille. »

Sans cette deuxième famille, Rosine n'aurait jamais pu affronter la rentrée. Quatre enfants de 9 à 16 ans à vêtir et à chausser. Quatre sacs à dos à remplir. Sans compter les droits d'inscription et du service de garde...

L'école publique n'est-elle pas gratuite au Québec ? Elle l'est en théorie seulement. Dans les faits, Rosine a dû payer 550 $ de droits d'inscription, 525 $ pour les uniformes (chaussures non incluses), 360 $ pour le matériel scolaire. Il fallait aussi prévoir 440 $ pour les frais de garde du midi pour son plus jeune. Il fallait aussi penser aux frais de transport... Bref, une montagne de dépenses.

Comment les gens qui ont un job précaire et un salaire minimum versé au compte-gouttes arrivent-ils à payer tout ça, en plus du loyer et de l'épicerie ? La vérité, c'est qu'ils n'y arrivent pas. Pour adoucir la rentrée de Rosine, Madeleine a de nouveau fait appel à son réseau vertueux. « Sans cette aide, je n'y serais pas arrivée », dit Rosine.

Maintenant, Rosine ne souhaite qu'une chose : décrocher un emploi qui lui permettrait de subvenir d'elle-même aux besoins de sa famille. L'emploi précaire qu'elle a en ce moment dans une chaîne de montage ne lui permet pas de le faire.

Vous connaissez le proverbe : « Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera un jour. Si tu lui apprends à pêcher, il mangera toujours. » Rosine ne demande pas mieux que d'aller à la pêche. Elle est débrouillarde, travaillante et capable de supporter la pression. Elle a une solide expérience de commerçante dans son pays, mais elle est prête à se réinventer. Elle est disposée à travailler dans une manufacture s'il le faut. Dans un monde idéal, elle se dit qu'elle pourrait faire une formation professionnelle pour devenir préposée aux bénéficiaires, par exemple. Mais comment cette mère monoparentale pourra-t-elle subvenir aux besoins de ses quatre enfants durant ses études ?

Bref, comment, en cette ère d'austérité, passer de la survie à la vie ? Si vous avez la réponse, faites-moi signe.

(*) Le prénom est fictif, l'histoire ne l'est pas.