Le 6 mai, cela fera un an que Martin est mort. «J'ai le coeur gros», me dit Linda De Luca. Elle n'avait même pas besoin de le dire. Sa voix brisée disait tout. La voix d'une mère qui a perdu son fils.

Aujourd'hui, le coeur serré, Mme De Luca mettra pour la première fois de sa vie les pieds au parlement. Elle le fera à l'invitation du député Harold LeBel, porte-parole de l'opposition en matière de lutte contre la pauvreté et de solidarité. Elle le fera au nom de son fils disparu, dans l'espoir que son histoire puisse convaincre le ministre Sam Hamad de changer une loi injuste pour les personnes handicapées et leurs proches.

Martin est mort à l'âge de 39 ans, emporté par une pneumonie d'aspiration. Il était lourdement handicapé. Il souffrait de trisomie 21, de cardiopathie et d'insuffisance pulmonaire. Toute sa vie, Mme De Luca en a pris soin et s'est battue en son nom. Mais jamais elle ne pensait devoir se battre pour lui même après sa mort.

Je vous avais raconté cette triste histoire à la fin de l'été. C'était comme la fable de la Cigale et la Fourmi à l'envers. À la mort de son fils, Mme De Luca pensait pouvoir compter sur la prestation pour frais funéraires de 2500$ généralement versée par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale (MESS) lorsque les ressources financières de la personne décédée sont insuffisantes. Pour elle, il ne faisait aucun doute que Martin, qui était prestataire de l'aide sociale en raison de son handicap, y avait droit. Mais à sa grande surprise, la mère s'est vu refuser le remboursement de 2500$. Pourquoi? Parce qu'elle avait été trop prévoyante.

Comme bien des parents d'enfants lourdement handicapés, Mme De Luca s'était toujours demandé ce qu'il adviendrait de son fils si elle devait mourir avant lui. Mère de famille monoparentale, elle a voulu parer au pire. Elle a donc fait des arrangements funéraires préalables pour elle et pour son fils, sans se douter qu'elle allait être punie pour avoir bien fait les choses. Après les funérailles de son fils, il lui restait encore plus de 2000$ à payer pour le cimetière, les fleurs, la messe et le graveur. Mais elle a appris qu'elle n'avait pas droit à un seul sou de l'État. Car tout service funéraire payé avant le décès est déduit de la prestation du MESS. Pour y avoir droit, il lui aurait fallu être plus irresponsable.

À la suite de la publication de ma chronique, de nombreux lecteurs indignés par cette histoire ont envoyé des dons et des mots d'encouragement à Mme De Luca. Cet élan de générosité l'a touchée droit au coeur et lui a permis de souffler un peu. De toute évidence, elle avait gagné la bataille des coeurs. Il lui restait maintenant à gagner la bataille des principes. Car l'injustice qu'elle dénonce ne concerne pas que son fils. Ce n'est pas une question d'argent. C'est surtout une question d'équité et de dignité pour toutes les personnes handicapées et leurs proches.

À la suite du rejet de sa demande de révision, Mme De Luca était déterminée à porter sa cause devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ). Suzanne Gagné, une avocate et médiatrice qui avait aussi été touchée par son histoire lue dans le journal, a proposé de l'aider. Au début de l'hiver, elle l'a accompagnée à une séance de conciliation au TAQ. «Il a fallu que je sorte de la salle, je pleurais trop», raconte Mme De Luca, qui a eu l'impression qu'on ne l'écoutait pas vraiment. Il n'y avait pas de conciliation possible. La loi, c'est la loi, et nul n'est censé l'ignorer...

C'est vrai que la loi est claire à ce sujet, souligne Me Gagné, qui accompagnera Mme De Luca à Québec aujourd'hui. L'enjeu, ici, est beaucoup plus politique que juridique. «La loi est faite pour les gens. Et quand la loi brime les gens, on ne devrait pas accepter l'inacceptable.».

Dans ce cas bien précis, la loi est inéquitable, car elle traite les bénéficiaires de l'aide sociale handicapés comme les autres, alors que leur situation de vulnérabilité est bien particulière en ce qu'elle oblige leurs proches à se montrer prévoyants. Peut-on vraiment le leur reprocher? Peut-on vraiment les pénaliser parce qu'ils ont veillé à ce que leur enfant ait une sépulture?

Pour justifier le refus de prestation, le ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale a déjà invoqué le fait qu'il s'agit d'une aide de dernier recours. Un argument qui ne tient pas la route, car si Mme De Luca avait été millionnaire et imprudente, elle aurait pu obtenir le remboursement de 2500$.

«Il faut changer la loi», croit le député péquiste Harold LeBel, qui a invité MmeDe Luca à Québec, après que l'émission La facture eut récemment consacré un reportage à son histoire. Une invitation qu'elle ne pouvait pas refuser, d'autant que les appels à l'aide lancés à sa propre députée, la libérale Filomena Rotiroti, n'ont rien donné.

Le député LeBel entend profiter de la période d'étude des crédits cet après-midi pour interpeller le ministre Sam Hamad sur un certain nombre de questions liées à l'aide sociale. Avec les compressions au ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale, avec les coupes dans le budget des organismes communautaires qui aident les gens à défendre leurs droits, les gens vulnérables ont de moins en moins de ressources, déplore-t-il. Les cas semblables à celui de Mme De Luca se multiplient. «Je vais profiter de la présence de Mme De Luca pour convaincre le ministre de ramener un peu d'humanité dans la loi.»

Un peu d'humanité. C'est tout ce que demande Mme De Luca au nom de son fils disparu. Pour ne plus avoir à raconter cette histoire et enfin faire son deuil.