Il est bien ironique de voir le ministre de l'Éducation Yves Bolduc se dire très préoccupé par les liens possibles entre une école musulmane de Montréal et des organisations islamistes alors que son gouvernement n'hésitait pas à défendre cette même école, en 2010.

Dans la foulée d'une enquête du Journal de Montréal, le ministre Bolduc a annoncé lundi son intention de modifier la loi sur l'enseignement privé. Jugeant les faits rapportés par cette enquête «extrêmement troublants», le ministre Bolduc a alerté la Sécurité publique. Il a aussi annoncé que son ministère allait resserrer les critères d'octroi de permis à des écoles privées. Les antécédents judiciaires des dirigeants d'établissements scolaires seront scrutés à la loupe. Et on s'assurera que les propriétaires, directeurs ou administrateurs d'écoles n'ont pas de «comportements incompatibles avec la tâche». Diffuser de la propagande haineuse, par exemple, n'est pas un comportement compatible avec la tâche éducative.

Ça va de soi, direz-vous. Et pourtant, en 2010, quand mon collègue Vincent Larouche publiait dans RueFrontenac.com un article révélant que Québec versait 550 000$ par année en financement public à une école primaire musulmane que certains qualifiaient d'intégriste, le gouvernement libéral a réagi avec un haussement d'épaules. À l'époque, le fait que l'école Dar Al-Iman (ce qui signifie «Maison de la foi») soit affiliée à la Muslim Association of Canada (MAC), qui se réclame du mouvement des Frères musulmans, ne semblait nullement déranger Line Beauchamp, ministre de l'Éducation. Les inquiétudes du fondateur du Congrès musulman canadien, Tarek Fatah, qui accusait la MAC de disséminer une philosophie antioccidentale, antisémite, anti-gais et anti-femmes, non plus.

Il appartient à la police de faire la lumière sur les liens possibles entre des écoles musulmanes et des organisations islamistes soupçonnées de financer des groupes terroristes. Cela dit, que les allégations soient fondées ou pas, la controverse autour de ces écoles soulève une autre question fondamentale que le ministre de l'Éducation, tout comme ses prédécesseurs péquistes et libéraux, refuse toujours d'aborder: pourquoi un système d'éducation laïque financerait-il des écoles ethnoreligieuses?

Il existe au Québec plus d'une centaine d'écoles privées confessionnelles. Certaines n'ont de religieux que le nom. Mais dans la majorité des cas, cela va plus loin. Il s'agit d'écoles qui offrent un ensemble structuré d'activités confessionnelles ou d'animation pastorale. Dans certains cas, il s'agit carrément d'écoles-ghettos réservées aux membres d'une communauté en particulier.

Il faut bien sûr mettre tout cela en perspective. Que ceux qui craignent de se réveiller demain matin dans un État religieux se rassurent. La fréquentation des écoles religieuses au Québec demeure somme toute marginale. Les élèves des écoles privées provenant de religions minoritaires représentent environ 1% de l'ensemble des élèves du Québec.* Et contrairement à ce que pourrait laisser croire le battage médiatique, la proportion d'élèves musulmans qui fréquentent une école musulmane est particulièrement faible.

Cela dit, au-delà des chiffres, sur le plan des principes, une contradiction demeure. Comment un système d'éducation laïque peut-il justifier de verser de généreuses subventions à des écoles religieuses? Comment un système qui valorise le vivre-ensemble peut-il financer des écoles qui ne sont pas ouvertes à tous?

Si des parents tiennent à tout prix à envoyer leurs enfants dans une école chrétienne, juive ou musulmane réservée aux membres de leur communauté, c'est leur droit. Mais il me semble pour le moins inconséquent que l'État finance un choix qui va à l'encontre des grandes orientations qu'il s'est données.

Le ministre de l'Éducation entend-il revoir le financement des écoles confessionnelles, comme le suggérait timidement le rapport Bouchard-Taylor en 2006? «Non», m'a répondu l'attachée de presse du ministre Bolduc. «Ce n'est pas une avenue.»

Et pourtant, ça devrait être une avenue. Car en abordant ces enjeux uniquement sous l'angle sécuritaire, le ministre de l'Éducation oublie qu'il est précisément question ici... d'éducation. Il est précisément question ici de la noble mission de l'école, lieu tout désigné pour apprendre le vivre-ensemble.

Le Québec a choisi, il y a 15 ans, de rendre son système scolaire laïque. Il a choisi de refuser le modèle communautariste. Il a choisi de faire de l'école le creuset par excellence d'une culture citoyenne commune. Maintenant, pour que tous ces beaux principes soient plus que des mots creux, le ministère de l'Éducation a le devoir de faire en sorte que sa politique reflète ces choix de société. Cela ne peut malheureusement pas être le cas lorsqu'on prône d'un côté l'école du vivre-ensemble tout en finançant de l'autre le «vivre-séparé».

*Rapport Le fait religieux dans les écoles privées du Québec (Comité sur les affaires religieuses, juin 2012).