Un fourgon de police s'est arrêté devant la mosquée. Lorsque les fidèles l'ont vu, ils ont tout de suite compris. Quelqu'un allait être flagellé.

Était-ce un meurtrier? Un criminel? Ils ne savaient pas.

Les portes du fourgon se sont ouvertes devant l'esplanade de la mosquée. Un jeune homme de 31 ans est apparu. Son nom? Raif Badawi. Son «crime» ? Avoir créé un site internet de débat public dans lequel il a osé parler de libéralisation de l'islam en Arabie saoudite.

Escorté au milieu de la foule, les mains et les pieds enchaînés, le blogueur Raif Badawi s'est levé. Un énorme bâton à la main, un agent des forces de sécurité s'est approché de lui. Il s'est mis à le frapper. Dans le dos. Sur les jambes. En comptant jusqu'à 50.

Le blogueur a fermé les yeux. Il a levé la tête vers le ciel en courbant le dos. Il n'a rien dit. Mais son visage et son corps disaient sa souffrance terrible.

Cette scène de torture qui glace le sang s'est passée vendredi dernier à Djedda, en Arabie saoudite. Très loin de chez nous, mais en même temps très près, car Ensaf Haidar, la femme de Raif Badawi, a trouvé refuge au Québec avec ses trois enfants. Avec le soutien de gens de Sherbrooke, sa ville d'adoption, elle se bat sans relâche pour le faire libérer.

Si rien n'est fait, si nos gouvernements acceptent de se taire en haussant les épaules ou en détournant le regard, la scène de flagellation décrite ci-dessus risque de se reproduire encore aujourd'hui et tous les vendredis durant 18 semaines de plus, la justice saoudienne ayant condamné Raif Badawi à 1000 coups de fouet et 10 ans de prison pour avoir «insulté l'islam».

Ironiquement, deux jours avant la première séance de flagellation infligée au blogueur, le gouvernement saoudien condamnait sans rire l'attentat contre Charlie Hebdo, le qualifiant de «lâche attentat contraire à l'islam». Le dimanche suivant, un important diplomate saoudien s'est joint à Paris à la grande marche de solidarité «Je suis Charlie» visant à défendre la liberté d'expression. Comme s'il n'y avait là aucune contradiction. Mercredi, je suis Charlie. Vendredi, je fouette Badawi. Cherchez l'erreur.

Portées par la vague de solidarité qui a suivi les attentats de Paris, de plus en plus de voix s'élèvent ici et ailleurs pour dénoncer le sort de Raif Badawi. Car on ne peut pas être Charlie sans exiger la libération de Raif Badawi et de tous ces gens courageux qui, partout dans le monde, sont encore emprisonnés et torturés pour avoir exercé leur droit à la liberté d'expression.

On a parfois l'impression d'être impuissant devant la cruauté de leur sort. Que les pétitions, les manifestations, les lettres d'appui et les articles dans les journaux ont bien peu de poids. Que tout se joue en coulisse, dans les hautes sphères, insensibles à la mobilisation citoyenne, là où les intérêts économiques passent avant les droits de la personne.

Le fait est qu'on est souvent moins impuissant que ce que l'on croit. La volte-face d'Ottawa à ce sujet le montre bien. Lundi, le ministre Christian Paradis disait qu'il ne pouvait pas grand-chose pour Raif Badawi étant donné qu'il n'est pas citoyen canadien. Mercredi, le ministre John Baird, réagissant à la mobilisation, adoptait un tout autre discours. Pour la première fois, il a dénoncé le sort réservé au blogueur saoudien. Soulignant que sa peine était une violation de la dignité humaine et de la liberté d'expression, il a lancé un appel à la clémence et a fait des démarches auprès de l'ambassadeur d'Arabie saoudite à Ottawa. Une rencontre avec le prince saoudien Turki al-Faisal prévue la semaine prochaine au Forum économique mondial de Davos pourrait être l'occasion de poursuivre ces démarches.

Voilà qui est encourageant. La déclaration du premier ministre Philippe Couillard, qui a dit que le Québec était prêt à accueillir Raif Badawi s'il est libéré, l'est aussi. Le premier ministre s'est entretenu avec l'ambassadeur saoudien et a appelé la femme du blogueur pour lui dire qu'il la soutenait dans son combat.

Ces appuis et ces pressions, qui ne doivent pas s'estomper tant que Raif Badawi ne sera pas libéré, s'ajoutent aux milliers de messages de soutien et d'espoir que de gens de partout dans le monde ont fait parvenir au blogueur. Le message le plus touchant est sans conteste celui de son fils Doudi qui, dans une vidéo bouleversante d'Amnistie internationale, raconte son propre combat pour retrouver son père qu'il n'a pas vu depuis deux ans et demi.

Extraits choisis de la lettre qu'il a écrite à son père:

«Tu es en prison loin de moi parce que tu t'es battu pour tes idées. Tu es une personne pacifique qui aime les gens et leur souhaite de bonnes choses. Pourquoi es-tu en prison, papa? C'est la question que je me pose chaque jour.»

«Nous attendons le jour où ton avion arrivera à l'aéroport de Montréal. Tu me verras qui t'attends et qui pleure. Je n'arrêterai pas tant que tu ne me prendras pas dans tes bras et que tu sécheras mes larmes.»

Espérons que son message sera entendu en haut lieu.