Doit-on, quand on est musulman, se dissocier publiquement du groupe État islamique?

Le sujet suscite un vif débat en France depuis quelques jours. Après l'assassinat d'Hervé Gourdel en Algérie, Le Figaro a créé la polémique avec un sondage en ligne demandant à ses lecteurs s'ils estimaient suffisante la condamnation des musulmans de France.

La question pleine de sous-entendus nauséabonds a déclenché un tollé. Car demander si les musulmans s'opposent suffisamment à la barbarie de l'EI, c'est laisser entendre qu'ils en sont, jusqu'à preuve du contraire, solidaires.

Devant le tollé, Le Figaro a décidé de retirer la question et s'est excusé pour la «formulation maladroite». Mais une fois la maladresse effacée, le malaise reste entier.

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Le débat sur l'attitude des communautés musulmanes d'Occident à l'ère du terrorisme n'est pas que français. Il n'est pas tout à fait neuf non plus. Depuis le 11 septembre 2001, il ressurgit de façon sporadique.

Chez nous, même si les grandes organisations musulmanes ont condamné le groupe État islamique, certains estiment que ce n'est pas suffisant. Des voix se sont élevées pour dénoncer ce que certains appellent le «silence» des musulmans, même quand ils parlent... Parfois, ce sont des citoyens musulmans qui s'expriment en ce sens, comme s'ils sentaient la nécessité de dénoncer plus fortement que les autres la barbarie dont on les rend coupables par association. On a vu aussi des campagnes antiterroristes comme «Not in My Name» (Pas en mon nom), lancées par de jeunes musulmans britanniques, prendre une ampleur mondiale sans pour autant parvenir à dissiper la suspicion.

Le débat sur le «silence» des musulmans trouve aussi écho dans mon courrier de temps en temps. La dernière fois, cherchez l'erreur, c'était à la suite d'une chronique sur l'abolition possible du système de garderies à 7$. Commentaire d'un lecteur, mécontent d'un parallèle que j'y faisais entre le populisme du forum de consultation du PLQ sur la révision des programmes et celui de la consultation menée par le PQ au sujet de la Charte des valeurs: «Quand les musulmans du Québec feront-ils une manifestation pour dénoncer de tout leur coeur le comportement de [l'organisation] État islamique?????

«Êtes-vous musulmane, Mme Elkouri? ... Si oui, pourquoi ne pas faire des textes sur cela et demander aux communautés musulmanes d'exprimer haut et fort leur désapprobation des horreurs commises en Syrie et en Irak?

«Vous qui n'arrêtez pas de nous ramener les horreurs de la Charte québécoise qui était, dans les faits, une bagatelle plutôt insignifiante... Vous ne parlez pas de l'EI???»

Merci d'avoir pris la peine de m'écrire, Monsieur. Non, je ne suis pas musulmane, désolée de vous décevoir. Mais cela ne change rien à mon malaise devant cette injonction à laquelle vous voudriez soumettre l'ensemble des citoyens musulmans. Car comment peut-on demander à quelqu'un s'il est pour ou contre la décapitation? Comment lui demander si, oui ou non, il se dissocie de groupes barbares qui sèment la terreur et la mort? À votre avis?

Les musulmans, on tend à l'oublier, sont les premières victimes du terrorisme des djihadistes. Ils n'ont pas plus de liens avec le groupe État islamique que les chrétiens en ont avec le Ku Klux Klan. Les sommer de se désolidariser des meurtriers de l'EI me semble aussi ridicule que si on sommait les pères de se désolidariser de Guy Turcotte. Ou les femmes de se désolidariser de Karla Homolka.

Pourquoi cet ordre de se désolidariser de ceux dont on n'a jamais été solidaires? Pourquoi cette chasse aux silences jugés suspects? J'aimerais me dissocier publiquement de cette logique absurde.

Qui ne dit rien consent? Ce n'est pas toujours vrai. L'effroi rend muet aussi.