En matière de coupes dans les programmes sociaux, les rumeurs se suivent et se ressemblent. La semaine dernière, on évoquait la fin possible du programme dit «universel» de garderie. Cette semaine, la menace vise le Régime québécois d'assurance parentale, qualifié de «très généreux» par le premier ministre.

Il dit «très». On comprend «trop». Et on note au passage l'usage aléatoire du mot «généreux».

«Pourquoi on ne dit pas que c'est généreux de construire des routes pour les minières?»

La question m'est lancée par la Dre Marie-France Raynault, spécialiste en médecine préventive et en santé publique. Elle est bien sûr préoccupée par toutes ces rumeurs de compressions dans les programmes sociaux. Elle s'inquiète de voir que les décisions seront prises par une commission de révision des programmes monolithique, formée d'économistes et d'administrateurs, mais pas de spécialistes des programmes visés par les coupes. Elle déplore le fait qu'il n'y ait pas de réel débat de société autour de cette révision. «Ce qui me fâche, c'est que les rumeurs visent les programmes les plus reconnus par l'OCDE pour diminuer les taux de pauvreté!»

Si la rumeur se maintient, voilà qui est trop préoccupant.

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La Dre Raynault dirige le Centre Léa-Roback, qui a pour mission de contribuer à la réduction des inégalités sociales en santé et à l'amélioration des conditions de vie. Dans le cadre de ses recherches, elle s'est beaucoup intéressée aux politiques familiales des pays nordiques, chefs de file des États égalitaires. Et elle est convaincue qu'il est possible pour le Québec, s'il le veut bien, de s'inspirer du bon sens à la scandinave.

Au Québec, depuis 2006, un nouveau parent peut s'absenter du travail pendant un an. Le Régime québécois d'assurance parentale prévoit aussi un congé de paternité de cinq semaines. C'est très bien. Mais il y a des pays qui font mieux. Et on aurait tort de penser que ce «mieux» ne profite pas à l'ensemble de la société.

En Suède, les parents ont droit à un congé de 16 mois qui peut être utilisé à petites doses jusqu'à ce que l'enfant ait 8 ans. Cela inclut une période de deux mois pour le père, non transférable à la mère (et vice versa). Le système suédois se caractérise par une grande souplesse qui permet aux parents de choisir ce qui leur convient le mieux en fonction de leurs revenus et de leurs préférences en matière d'éducation. Le congé peut, par exemple, être prolongé en divisant les journées en demi-journées. Les parents peuvent aussi choisir de prendre le congé à mi-temps jusqu'à ce que leur enfant ait deux ans et demi. Ils peuvent alterner des périodes de congé et de travail. Le père et la mère peuvent aussi prendre le congé à mi-temps en même temps.

Pourquoi cela est-il profitable à tous? Parce que les mesures de conciliation travail-famille favorisent l'emploi des mères. Et favoriser l'emploi des mères est l'un des meilleurs moyens de réduire la pauvreté des enfants et de contribuer à l'équité hommes-femmes.

On le sait, les congés parentaux ouvrent la voie à une société plus égalitaire. En Suède, on l'a bien compris. Les caisses d'assurance parentale y ont comme mission d'augmenter la participation des pères au congé parental. Elles leur envoient chaque année des lettres pour leur rappeler le nombre de jours de congé qu'il leur reste avant la date limite. On diffuse aussi des campagnes d'information sur les droits des pères en matière de congé parental. On y met l'accent sur les effets positifs de ce congé tant pour l'enfant que pour le père. On y rappelle que les liens les plus profonds se tissent lorsque l'enfant est tout petit. (*)

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En matière de congés parentaux, il est vrai que le Québec a sans doute le meilleur programme en Amérique du Nord. Trop généreux? Si on se compare aux États-Unis, où c'est pratiquement le désert en matière de politiques familiales, on pourrait croire que oui. Mais si on se compare à un pays comme la Suède, on réalise que l'on pourrait certainement faire mieux.

Trop ou pas assez? Il me semble que la question n'est pas là. Tout dépend de la valeur que l'on choisit d'accorder à ce genre de programmes sociaux et aux bénéfices que la société en retire. Pour ma part, je partage le point de vue de la Dre Raynault qui souligne que les congés parentaux, parce qu'ils favorisent l'équité hommes-femmes, le bien-être des enfants et de leurs parents, sont très porteurs à long terme. Avant d'être une affaire de chiffres, c'est un choix de société.

(*) Toutes ces informations sont tirées du livre Le bon sens à la scandinave, de Marie-France Raynault et Dominique Côté. Les Presses de l'Université de Montréal, 2013.