«Pauline Marois est là!»

C'était samedi après-midi. Samar venait d'arriver à la pharmacie du centre commercial de Boucherville où elle travaille. «Ah bon? Je vais aller lui dire mon opinion sur la Charte! a-t-elle lancé à son amie.

- No way! Tu ne le feras pas!

- Je gage cinq dollars que je le fais!»

Quand l'heure de sa pause est arrivée, la jeune femme de 24 ans a foncé. Dans le corridor du centre commercial, elle a vu un attroupement autour de la première ministre. Elle s'y est frayé un chemin et s'est retrouvée, très nerveuse, devant Pauline Marois. «Bonjour, Mme Marois, je m'appelle Samar Assoum, je suis étudiante en droit international. Je voulais vous parler de la Charte...»

La première ministre l'a écoutée, l'oeil bienveillant. Elle prenait un risque. La sécurité était sur ses gardes. Dans ce genre de bains de foule, on ne sait jamais à quoi s'attendre.

Devant une haie de micros et de caméras, un débat impromptu a eu lieu entre Samar et la première ministre. «Si vous voulez renforcer la langue française, vous devez amener du monde du Maghreb. Ces gens-là, c'est des musulmans, des gens qui travaillent fort, et je pense qu'on devrait respecter leurs droits», a dit la jeune femme.

Constitutionnalité de la Charte, port du voile, liberté d'expression... Samar s'est vidé le coeur sur tous ces sujets. Elle a aussi dénoncé les propos fielleux de la candidate du PQ Louise Mailloux, qui a décrit le baptême et la circoncision comme un «viol».

La première ministre a tenté de prendre la main de Samar, comme pour la rassurer. «Ma belle, ma belle... Elle a écrit ça dans le passé. Ce à quoi elle adhère, c'est notre programme. Et notre programme est très respectueux de toutes les religions du monde.»

Dans les médias sociaux qui ont diffusé un extrait du débat, Samar est instantanément devenue une star. On a salué son audace.

«OK, je te dois cinq dollars! lui a dit son amie, qui n'en revenait pas.

- Garde-le. Tu me paieras un café à la place!»

Samar se dit heureuse de vivre dans un pays démocratique où un tel échange est possible. Elle a remercié Pauline Marois de l'avoir écoutée.

Quand j'ai vu la vidéo de ce débat éclair, j'ai d'abord pensé que je connaissais Samar Assoum. N'était-elle pas cette jeune musulmane de 18 ans qui était allée défendre un mémoire devant la commission Bouchard-Taylor?

En fouillant dans mes contacts, j'ai trouvé non pas une Samar, mais une Sarah Assoum. «Êtes-vous parentes?

- Oui, c'est ma soeur jumelle! On nous confond tout le temps!»

C'est ainsi que j'ai retrouvé les jumelles Assoum dans un café du chemin de la Côte-des-Neiges, hier matin, à deux pas de l'Université de Montréal, où elles étudient toutes les deux. Une discussion très animée sur la Charte s'en est suivie. Samar interrompait sans cesse sa soeur. «Ma mère dit qu'on se battait dans son ventre!», dit Samar en riant. «Mais on finit toujours par être d'accord!», ajoute sa soeur.

D'origine libanaise, Samar et Sarah sont nées à Montréal. Elles revendiquent leurs identités multiples. Québécoises, musulmanes, féministes, partisanes de la laïcité. Et fans de baseball aussi! tiennent-elles à préciser.

Elles sont tout ça en même temps... Mais dans un monde où on est sommé de choisir son camp, est-il encore possible d'être «plus qu'une chose» ? se demande Samar.

La dernière fois que je les avais vues, c'était en 2007, aux audiences de la commission Bouchard-Taylor. Elles avaient 18 ans. Samar était trop gênée pour prendre le micro. C'est Sarah, à son côté, qui l'avait fait avec une certaine candeur. Elle s'était présentée comme une Québécoise musulmane de Boucherville qui lit Michel Tremblay, qui aime le Québec et qui veut comprendre l'origine de la crise des accommodements. Elle avait dénoncé les généralisations qui diabolisent l'islam. «Comment on peut combattre ça?»

Sept ans plus tard, Sarah est en train de rédiger un mémoire de maîtrise en communication.

Féministe, elle m'a écrit l'automne dernier pour me dire que même si elle était très heureuse de l'élection d'une première ministre au Québec, elle était désormais inquiète. Ni elle ni sa soeur ne portent le voile. Ce qui ne les empêche pas de voir l'interdiction des signes religieux comme une atteinte à des droits fondamentaux. Sarah aime à répéter ce que son père lui dit toujours: «L'important, ce n'est pas ce qu'il y a sur la tête, mais bien ce qu'il y a dedans.»

Dans le café, un homme qui a entendu notre conversation s'est approché de Samar. Il l'a félicitée pour son débat avec la première ministre. Il a voulu se faire prendre en photo avec elle. «J'ai partagé ta vidéo sur Facebook. Tu as été merveilleuse! Bravo! Est-ce que tu travailles pour un parti politique?

- Non, je travaille chez Jean Coutu!», a répondu Samar en éclatant de rire.

Fera-t-elle de la politique un jour? Elle préférerait être prof d'université. Mais sait-on jamais... «Je pourrais être ton attachée de presse?», dit Sarah avec un large sourire.

Je reviens à Louise Mailloux, qui s'est excusée à demi-mot, sans se rétracter pour autant. Contrairement à Samar, je n'ai pas trouvé que ses propos sur le baptême et la circoncision banalisaient ce crime grave qu'est le viol. Quand on les lit dans leur contexte, il est clair que c'est au viol de la liberté de conscience que l'auteure fait référence, et non à une agression sexuelle. Faire fi de cette nuance, c'est déformer son propos.

J'ai toutefois été beaucoup plus choquée par les propos de la candidate du PQ sur la nourriture cachère. Selon elle, la certification cachère permet aux rabbins de s'en mettre plein les poches et même de financer des opérations guerrières. Dire une telle chose, c'est perpétuer des mythes antisémites tenaces et donner une légitimité aux théories du complot sur la «taxe juive».

Que le PQ, dont le «programme très respectueux de toutes les religions du monde», se taise devant de tels discours a quelque chose de sidérant.