«Bye, les filles! On se revoit bientôt.»

C'était il y a cinq ans presque jour pour jour. Le 17 mars au matin, sur le seuil de l'unité 8 de la prison de Joliette, Geneviève a dit au revoir à ses amies détenues. Le jour de sa libération était enfin arrivé.

Dehors, ses parents l'attendaient comme ils l'ont toujours attendue, malgré ses fugues, ses délits, ses séjours en prison. Ils avaient l'air nerveux, se rappelle-t-elle. Nerveux devant cette liberté au potentiel casse-gueule. Quand elle était en prison, au moins ils savaient. Ils savaient qu'elle avait un toit. Ils savaient qu'on ne la retrouverait pas morte d'une surdose, une aiguille dans le bras, dans une ruelle obscure.

Il faisait beau. Une magnifique journée de printemps. Un soleil qui réchauffe l'air. Geneviève a enfoui ce qui lui restait de sa vie passée dans des sacs de papier brun avant de monter dans la voiture de ses parents. Heureuse d'être enfin libre. Elle n'était plus une «détenue». Elle devenait une «ex-détenue». Mais «ex» pour combien de temps?

«Les gens me donnaient une semaine. Personne n'y croyait vraiment. Moi-même je n'y croyais pas.»

Elle a fini par étonner tout le monde, y compris elle-même. Fatiguée de jouer le même rôle de fille de la rue/toxicomane qui fait des allers-retours en prison, elle a réussi en cinq ans à se rendre là où personne ne l'attendait. «Quand je suis sortie de prison, on ne voulait même pas de moi pour placer des piments sur un rack à légumes!»

Geneviève a aujourd'hui 31 ans. Le soir, elle étudie en travail social, déterminée à compenser son casier judiciaire par un diplôme universitaire. Le jour, elle vient en aide à des femmes détenues ou en réinsertion. Parfois, ce sont des femmes qu'elle a croisées dans son autre vie. «Des fois, je travaille avec des filles à qui je vendais de la dope!» Elle ne leur vend plus rien. Sauf peut-être de l'espoir. Elle leur dit: «Appelle-moi si t'as besoin d'aide.»

J'ai rencontré Geneviève Fortin pour la première fois au Combat contre la langue de bois, il y a quelques semaines, au Cabaret du Mile End. Je suis tout de suite devenue une fan. Inconnue du grand public, elle est montée sur scène comme on saute dans le vide. Avec courage, elle a raconté son histoire. En cinq minutes, elle a conquis toute la salle.

«La série Unité 9 fait présentement sensation dans l'univers télévisuel québécois, a-t-elle commencé par dire. On en parle dans tous les médias et sur toutes les plateformes. C'est pourquoi j'ai décidé que, ce soir, je ne vous en parlerai pas.»

«Je vais plutôt vous parler du personnage que j'ai incarné dans Unité 8».

Mêlant le tragique et le comique, Geneviève a raconté comment elle avait été pressentie pour ce «rôle» en 2007, à une époque où elle avait déjà une certaine expérience dans le domaine. «J'avais été très remarquée lors d'une descente policière au centre-ville...»

Très vite, Geneviève a réalisé que son rôle en était un de «troisième zone». Un rôle qui n'intéressait pas vraiment les gens. Sauf un public fidèle au poste, dans une maison de Repentigny et un appartement de la rue Jeanne-D'Arc. Ses parents et son frère, le meilleur public dont pouvait rêver une tragédienne comme elle. Ils étaient d'ailleurs dans la salle ce soir-là. Encore fidèles. Émus.

«En gros, mon personnage était une fille qui était partie vivre dans la rue un peu avant l'âge de 14 ans. Elle avait bien sûr connu les coins les plus sombres de la ville. Accro à l'héroïne avant même d'avoir l'âge du consentement légal, elle avait usé de son intelligence, mais pas toujours de sa sagesse, pour subvenir à ses besoins.»

A priori, rien ne semblait la prédestiner à un tel rôle. Geneviève a grandi au sein d'une famille aimante en banlieue. Classe moyenne aisée. Collège privé. Des bonnes notes à l'école...

Devant sa vie qui s'est mise à dériver, ses parents se sont longtemps sentis coupables. Ils n'y étaient pourtant pour rien, dit-elle. «Ce n'est pas eux que je n'aimais pas. C'est moi qui ne m'aimais pas.» Elle était cette fille rebelle qui tentait d'anesthésier son mal-être.

Le jour où elle a pu quitter le «plateau» d'Unité 8 fut un jour de soulagement. Mais en même temps, elle avait peur. «J'avais incarné mon personnage dans Unité 8 tellement longtemps que j'y étais aussi confortable que dans une vieille paire de pantoufles.»

Quel rôle allait-on lui offrir à l'avenir? En y réfléchissant, Geneviève a réalisé qu'il n'y avait qu'une solution: créer elle-même un nouveau personnage. Écrire ses propres répliques.

De façon brillante, elle s'est réinventée. Elle aide désormais d'autres femmes, fatiguées elles aussi de jouer le même rôle, à se réinventer. Elle les amène à se défaire de leur personnage, à réécrire leur propre histoire. Ce n'est pas toujours facile. Trop souvent, les gens rejettent ces histoires avant même de les avoir entendues, regrette-t-elle. «Moi, ces histoires, je les trouve belles. Et je sais qu'elles ont beaucoup de potentiel».

Le potentiel de passer de l'Unité 8 à l'université. Du trafic de drogue au trafic d'espoir.