Une nuit de printemps, Tamey Lau, célèbre fleuriste du Mile End, a vu sa vie partir en fumée. Son commerce de la rue Bernard a été détruit par un incendie. Depuis, son local était placardé. Plus de fleurs sur le trottoir. Plus de jolies cages à oiseau suspendues au ciel. Plus de poésie sur l'asphalte. Le quartier était en deuil. Et Tamey, triste à s'en rendre malade.

Au mois d'avril, après l'incendie, j'avais raconté son histoire. L'histoire d'une fleuriste infatigable, mère de 14 enfants. Ses racines sont à Hong Kong, où elle a eu une enfance difficile. Ses fleurs, sa vie sont à Montréal, à l'angle des rues Bernard et Waverly.

L'histoire racontée était surtout celle d'un remarquable élan de solidarité, pied de nez à tous les clichés sur la ville. Car au lendemain de l'incendie, il n'était pas question de laisser tomber Tamey, qui fleurit le quartier depuis plus de 20 ans. Le voisinage s'est mobilisé. Francophones et anglophones se sont unis. Une page Facebook et un fonds de soutien ont été créés. Le groupe Arcade Fire, fan fini de la fleuriste, a relayé l'information. Très vite, à la grande surprise de Tamey, plus de 15 000$ ont été amassés. Des enfants ont cassé leur tirelire pour lui venir en aide. Certains ont pleuré dans ses bras. D'autres lui ont écrit des mots doux. «Il faut que tu restes dans le quartier. On t'aime, Tamey.» La fleuriste en fut émue aux larmes.

Voilà des mois que je guettais son retour. Je n'étais pas la seule. Des lecteurs m'ont écrit pour avoir de ses nouvelles. Pour moi, pour d'autres, elle était la mère adoptive du quartier. Sans elle, nous étions tous un peu orphelins.

J'ai eu le temps de tuer deux orchidées en son absence. Et puis, il y a quelques jours, mon fils m'a annoncé la nouvelle. «Tamey est de retour! Elle fait dire bonjour!»

Je suis allée la voir hier matin. Elle semblait radieuse au milieu de ses fleurs. Quelques cages à oiseau au plafond, des pots chinois sur des étagères, son bric-à-brac habituel qui reprenait tranquillement du terrain...

Au fond du commerce, de la fumée s'échappait d'une mijoteuse. Un parfum de cuisine chinoise. «Je cuisine pour ma fille. C'est son anniversaire.» Laquelle? La «numéro neuf». Elle a 21 ans.

Ces derniers mois, Tamey a eu l'impression de traverser un désert. Ce fut très dur. Elle a eu des problèmes de santé. Elle s'est beaucoup ennuyée du quartier. En attendant que son local détruit par le feu soit rénové, elle a travaillé dans le magasin de fleuriste de son fils, à l'autre bout de la ville, dans un centre commercial. «Mais ce n'est pas pareil. Ici, tout le monde se salue. Il y a une communauté. C'est ce qui m'a le plus manqué. Les gens, les enfants...»

De retour dans son local, Tamey se sent renaître. Elle n'a pas assez de mots pour exprimer sa reconnaissance. Elle aurait aimé remercier un à un tous ceux qui l'ont aidée. Elle regrette d'avoir perdu tous ses numéros de téléphone dans le chaos qui a suivi l'incendie. Pompiers, gens de la Ville, simples citoyens... «Sans le soutien de tous ces gens, je n'aurais pas pu survivre!»

Elle est encore émue quand elle évoque cet élan de solidarité. «Des gens qui n'ont pas grand-chose m'ont fait des dons. On m'a écrit des lettres si touchantes. Un client qui m'a croisée dans le métro a sauté sur moi pour m'embrasser! On m'a dit que lorsque j'allais revenir, la rue serait plus ensoleillée... C'est comme une histoire d'amour.»

J'ai acheté une autre orchidée, en promettant d'en prendre mieux soin que des précédentes. Pas trop d'eau, pas trop de soleil, m'a dit Tamey sur un ton sentencieux, sourire en coin. «C'est très difficile de tuer des orchidées! Ce sont des plantes résistantes, qui n'ont pas besoin de grand-chose.» Elles peuvent refleurir après de longues traversées du désert.

En quittant Tamey avec mon orchidée, je n'ai pu m'empêcher de penser que cette plante, très résistante sous ses airs délicats, était à l'image de la belle fleuriste du Mile End. Capable de renaître au moment où on ne s'y attendait plus.