Nombreux sont ceux qui ont été outrés par le verdict d'outrage au tribunal prononcé contre Gabriel Nadeau-Dubois. Outrés d'apprendre que le porte-étendard du mouvement étudiant est passible d'une peine d'un an de prison alors qu'on laisse courir impunément tant de bandits à cravate.

«Si vous cherchez des bandits, ils sont tous à la mairie!», ont scandé jeudi soir des manifestants qui ont participé à une marche de soutien à l'ex-porte-parole de la CLASSE.

Gabriel Nadeau-Dubois, qui porte sa cause en appel, n'a pas manqué de souligner lui-même l'ironie de la situation, à l'heure où les révélations de la commission Charbonneau suscitent l'indignation. En réponse à la question d'un confrère anglophone sur le contexte de ce verdict, il a dit à quel point il trouvait ironique de voir «des politiciens qui prennent des vacances alors qu'ils ont fait pire que [lui]». Il a aussi relevé le paradoxe qui consiste à exiger toujours plus de la classe moyenne au moment même où on apprend que l'administration publique finance la mafia.

S'en prendre à un étudiant qui défend l'accessibilité aux études à l'heure où se défilent des élus qui ont permis le libre accès de la mafia aux fonds publics est en effet très ironique. Apprendre que Frank Zampino, ex-bras droit du maire Gérald Tremblay accusé de fraude et d'abus de confiance, souhaite que les contribuables montréalais paient sa défense alors que Gabriel Nadeau-Dubois, simple étudiant, doit demander la charité pour payer la sienne l'est tout autant.

Cela dit, au-delà de l'ironie, au-delà de l'indignation saine et légitime suscitée par les scandales municipaux, le parallèle entre l'outrage aux citoyens et l'outrage au tribunal me semble aussi démagogique que boiteux. Il nous éloigne des questions fondamentales soulevées par ce verdict.

Gabriel Nadeau-Dubois a été reconnu coupable d'outrage au tribunal pour avoir incité des manifestants à violer une injonction durant le conflit étudiant. Selon le jugement, il a «prôné l'anarchie» et a «encouragé à la désobéissance civile» quand, en entrevue à RDI, il a dit qu'il est tout à fait légitime que les étudiants prennent les moyens nécessaires pour faire respecter le vote de grève.

L'ex-porte-parole de la CLASSE réplique qu'il n'a pas prôné l'anarchie, mais plutôt l'accessibilité de l'éducation. Il invoque des arguments politiques. Le juge invoque des arguments de droit. L'un et l'autre ne parlent pas la même langue. Ils ne parlent même pas vraiment du même sujet. Voilà qui illustre bien le cul-de-sac absurde dans lequel nous a conduits la judiciarisation du printemps québécois.

On ne plaisante pas avec la justice, soit. Mais on ne peut non plus passer sous silence l'absurdité d'avoir porté devant les tribunaux une crise qui ne pouvait y être réglée. Le conflit étudiant était politique. Sa solution ne pouvait qu'être politique. Le désengagement du gouvernement libéral, qui a laissé pourrir la situation de façon cynique, a eu pour effet de pelleter une crise sociale et politique dans la cour des policiers et des juges. Il y a eu détournement de débat. Les injonctions se sont multipliées. Des étudiants, adhérant à la rhétorique libérale, ont réclamé leur droit individuel de poursuivre leurs cours, en faisant fi des votes de grève et de la volonté collective. Cela a donné lieu à des situations intenables dans certains cégeps et universités, où il était très difficile de faire respecter les injonctions. Des professeurs ont dû enseigner de force, avec une escouade antiémeute à la porte. Il y avait là un outrage au bon sens aussi pénible qu'absurde.

Le verdict d'outrage au tribunal de Gabriel Nadeau-Dubois - une première préoccupante dans le mouvement étudiant québécois - devrait être le point de départ d'une réflexion sur la judiciarisation de la contestation étudiante.

Hier, le député Léo Bureau-Blouin, tout en refusant de commenter le cas particulier de celui qui était sur le même plateau que lui au moment de l'outrage reproché, a qualifié cette judiciarisation d'«inquiétante». «Le droit de grève des étudiants au Québec n'existe que par les moeurs et pratiques historiques», a-t-il dit, en suggérant que le sujet soit discuté au Sommet sur l'enseignement supérieur promis par le gouvernement péquiste. Voilà une excellente idée.