C'est l'histoire d'un fantasme ménager devenu réalité. L'histoire d'une mère de Calgary devenue célèbre après avoir fait la grève de corvées ménagères.

L'histoire est celle de Jessica Stilwell, travailleuse sociale, mère de jumelles de 12 ans et d'une fille de 10 ans. Une mère débordée comme le sont tant de parents qui travaillent à temps plein. Les mères encore plus que les pères, bien sûr. Car bien qu'on puisse se réjouir de voir se rétrécir le fossé homme-femme dans le partage des tâches, ce sont encore les mères qui demeurent le plus souvent responsables de la «PME familiale», comme l'a rappelé Monique Jérôme-Forget sur le plateau de Tout le monde en parle.

Un dimanche soir d'automne, en contemplant l'impressionnant désordre dans sa maison après un week-end de tornade ordinaire, Jessica Stilwell a décidé que sa «PME» ne pouvait plus continuer comme ça. L'heure était venue de faire la grève. Ses enfants devront accepter de fournir leur juste part.

Sans rien dire à ses filles, avec pour seul complice son mari, la mère a cessé de s'acquitter des tâches ménagères. «Une travailleuse sociale et mère de famille vient de déclarer la grève au domicile familial, sans avertissement. À suivre», a-t-elle écrit sur sa page Facebook.

À partir de ce moment, seul ce qui était utilisé par la mère gréviste et son mari était rangé. La suite des choses - une forme de chaos domestique malodorant assez prévisible - est décrite avec une bonne dose d'humour par la maman en grève. D'abord sur Facebook, puis, à la demande générale, sur un blogue créé pour l'occasion (strikingmom.blogspot.ca).

Dès le premier soir de grève, les assiettes abandonnées du déjeuner ont commencé à s'encroûter. Le lave-vaisselle a vite débordé. Quand il était ouvert, le chien pouvait venir lécher quelques assiettes. Du lait sur le comptoir s'est transformé en fromage. Des céréales ont macéré au fond d'un bol jusqu'à en dégager une odeur nauséabonde. Les sacs à lunch thermos qui n'avaient pas été vidés ont empesté le vestibule. Les parents, qui ont continué à préparer les lunchs, ont dû les emballer dans des sacs de plastique. Puis, comme il ne restait plus de sacs, il y a eu escalade de moyens de pression. En dernier recours, des sacs conçus pour ramasser les excréments canins ont servi de sacs à lunch.

Au quatrième jour, une des filles a fondu en larmes. «Je ne veux plus transporter mes lunchs dans des sacs à merde [...]. S.V.P., pouvez-vous m'aider à faire le ménage?»

La mère gréviste, sentant l'odeur rance de la victoire (un parfum de trempette à l'ail laissée sur le comptoir), a fait le tour de la maison avec sa fille en prenant soin de lui montrer que rien de ce qui traînait n'appartenait à la présidente de la «PME» ou au vice-président.

La mère a mis fin à sa grève après six jours, quand ses enfants ont commencé à se disputer en s'accusant mutuellement d'être responsables du désastre. Les trois filles ont dû faire un grand ménage, non sans avoir menacé de faire la grève à leur tour. «Vraiment? a dit la mère. Et comment diable je m'en apercevrais? Qu'est-ce qui serait différent? Allez-vous juste poser vos fesses à un endroit différent pour regarder la télé?»

Les trois filles ont goûté au plaisir de vider le fromage moisi de l'ex-verre de lait... Depuis, elles fournissent leur juste part des tâches et la mère a l'impression d'avoir conquis l'Everest.

Jessica Stilwell n'est pas la première mère à avoir mené ce genre de grève ni la première à constater que, même si on aimerait donner la lune à nos enfants, on leur rend rarement service en faisant tout pour eux. Propulsée par les médias sociaux, elle est toutefois devenue la plus célèbre de sa catégorie. Les images de sa cuisine bordélique ont fait le tour du monde. Depuis, la mère a été invitée sur plusieurs plateaux, du Today Show à l'émission de Katie Couric. Des mères d'ici et d'ailleurs se sont intéressées à son expérience. Faut-il faire la grève pour rendre nos enfants responsables? N'est-il pas plutôt irresponsable pour une mère de faire la grève? Si les enfants sont mal élevés, n'est-ce pas de sa faute? Et le mari, lui? Fournit-il sa juste part?

Jessica Stilwell a fini par goûter aux contrecoups de la célébrité. Les accusations de «mauvaise mère» trempées dans l'insulte n'ont pas tardé à être lancées. Les médias sociaux ont été pris de sursauts antisociaux. À un point tel que la mère gréviste a senti le besoin de faire une importante mise au point, dimanche. Après le suicide d'Amanda Todd, cette adolescente de Colombie-Britannique victime de cyberintimidation à qui des idiots ont envoyé des messages haineux même après sa mort, le sujet prenait une dimension autrement plus tragique.

Aux adultes qui l'ont traitée de tous les noms, la mère gréviste a dit ceci: «Je vous encourage à vous demander ce que vous êtes en train d'enseigner à vos propres enfants en mettant en ligne des choses terribles à mon sujet et au sujet de ma famille. [...] Chacun a droit à son opinion, mais pourquoi ne pas enseigner à nos enfants à s'exprimer de façon respectueuse, sans mots mesquins ou blessants?»

La hargne, il faut croire, n'est jamais en grève.