«Allaiter, c'est glamour», nous dit Mahée Paiement dans une pub ridicule de l'Agence de santé et des services sociaux de Montréal. On y voit la comédienne allaiter en robe de soirée sexy, coiffée, maquillée et en talons hauts.

De tous les qualificatifs que l'on aurait pu choisir pour parler de la beauté de l'allaitement, glamour est le dernier auquel j'aurais pensé. Allaiter peut être un grand bonheur. C'est naturel. C'est beau. C'est sain. Mais désolée, mesdames, cela n'a absolument rien de glamour. Et on ne s'en porte pas plus mal pour autant.

Il ne suffit pas qu'une publicité fasse jaser pour qu'elle soit efficace. Il faut que le message passe. Ici, l'intention est bonne - encourager les femmes à allaiter, lever les tabous. Mais le message est tordu et rate sa cible.

Aucune femme n'allaite comme Mahée Paiement le fait dans cette publicité. Toute mère sait que cette image est irréaliste. Loin d'encourager des femmes à allaiter, cette publicité ne fait qu'accentuer de façon insidieuse les pressions que subissent déjà les femmes dans leur course effrénée vers la perfection. Elle leur dit qu'il ne leur suffit pas d'allaiter avec le sourire et d'être des «superfemmes». Il leur faudrait aussi être comme les filles des magazines. Esclaves de la séduction jusque dans l'allaitement.

Le phénomène n'a rien de neuf. La maternité, à l'heure du postféminisme, est idéalisée à outrance. Sous un vernis branché de girl power, on exige tout des femmes, beaucoup plus en fait que ce qu'on exigeait d'elles autrefois. Il leur faut être à la fois femme de carrière et mère parfaite, déesse et dévouée.

Comment une jeune mère épuisée qui a de la difficulté à allaiter - celle-là même qu'il faudrait donc convaincre - peut se sentir en regardant l'image inaccessible que lui lance au visage cette publicité pro-allaitement? Au mieux, elle se sentira encore plus inadéquate. Au pire, elle hurlera: «Au secours! Un biberon, quelqu'un!»

Évidemment, ce n'est pas en montrant une mère cernée, cheveux en bataille, pantalon de jogging et feuilles de chou sur les seins que l'on convaincra les plus réticentes. Mais présenter une image idéalisée de l'allaitement ne fait qu'accentuer le sentiment d'inaptitude et de culpabilité des mères. En faisant miroiter une maternité lisse et parfaite, aussi «glamour» qu'un 5 à 7 dans un bar branché, on travestit la réalité. Il aurait été tout à fait possible de concevoir une campagne de pub avec une image belle et réaliste et un propos qui suscite la discussion.

Le discours sur l'allaitement au Québec a changé du tout au tout depuis 40 ans. Au début des années 70, quand ma mère a osé dire à son médecin qu'elle voulait allaiter, elle s'est fait sermonner. «Voyons donc, madame! L'allaitement, c'est des affaires de grand-mère. Prenez de l'Enfalac!»

Trente ans plus tard, quand vint mon tour d'avoir des enfants, c'était tout le contraire. Ce sont les femmes qui n'allaitaient pas qui se faisaient (et se font toujours) sermonner. Dans les hôpitaux, la pression est énorme. La mère qui réclame un biberon est vue comme une mauvaise mère. Celle qui veut allaiter et n'y arrive pas le vit souvent comme un échec monumental.

J'ai allaité mes enfants avec bonheur. Par chance, je ne me suis donc pas retrouvée sur la liste noire des mères indignes dans ce cas-là. Mais combien de femmes se rendent malades faute de pouvoir allaiter, rongées par une culpabilité malsaine?

Bien sûr qu'il faut briser certains mythes autour de l'allaitement. Les histoires de censure sur Facebook de photos de mères allaitantes ou de commerçants chassant de leur boutique des femmes qui osent allaiter en public montrent qu'il y a encore beaucoup d'éducation populaire à faire dans ce domaine. Bien sûr que les femmes peuvent allaiter en robe sexy et talons hauts si ça leur chante. Bien sûr qu'elles peuvent allaiter en public, sans avoir à se cacher. Mais ont-elles aussi le droit de ne pas allaiter sans se cacher?

Mon impression, c'est qu'il est beaucoup plus tabou aujourd'hui pour une mère d'avouer qu'elle n'allaite pas que de montrer ses seins en public.

Photo fournie par moiaussijallaite.com

Mahée Paiement