Je me suis couchée en me demandant comment j'allais expliquer ce qui s'était passé à mon fils de 8 ans.

Quand il s'est endormi, le Québec venait de vivre un moment historique en portant au pouvoir sa première femme premier ministre. «Bonne nuit, mon amour. Je te raconterai tout ça demain...»

Quand il s'est réveillé, le Québec pleurait. Plus personne n'avait de mots pour raconter quoi que ce soit. Un homme armé, qui n'avait visiblement pas toute sa tête, avait tué la une, littéralement, en passant par la porte arrière de notre insouciance. Il avait mis le feu à cette soirée qui devait célébrer la démocratie et l'égalité. Il avait assombri la fête des militants péquistes. Il l'a fait en s'autoproclamant porte-parole d'une communauté anglophone qui - je le précise même si c'est une évidence - ne lui avait absolument rien demandé. Effroi. Tristesse. Consternation.

Un mort. Un blessé. Des familles éplorées. Un Québec meurtri. Mille questions sans réponse.

En voyant les gardes du corps se précipiter sur la scène pour protéger Pauline Marois, on a eu l'impression pendant un instant que la soirée électorale avait été remplacée par un épisode terrifiant de 24 heures chrono. La tragique réalité nous a vite rattrapés.

À mon fils, j'ai essayé d'expliquer la tragédie sans trop abîmer sa candeur... Mais expliquer quoi, au juste? La folie? La haine? Le coeur en miettes d'une société qui ne se reconnaît plus dans le miroir brisé qu'on lui tend à minuit?

Je lui ai parlé d'un «fou». Il m'a rappelée à l'ordre. «Ça n'existe pas, des fous, maman. C'est des gens qui sont malades...»

Mais il faut quand même être fou pour faire pareille chose? «Maman, ce n'est pas l'homme qui est fou. C'est son acte qui est fou...»

Il est trop tôt pour tirer des conclusions de cette tragédie. Chose certaine, on sait déjà qu'on ne pourra s'épargner de longs débats sur sa signification. Acte isolé? Crime haineux? Symptôme d'une société malade? Reflet d'une fracture sociale? Preuve, s'il en faut encore une, qu'il n'y a pas suffisamment de ressources en santé mentale?

On ne pourra pas éviter ces questions douloureuses. Mais méfions-nous des conclusions hâtives, des raccourcis et des amalgames. Méfions-nous de ceux qui en profiteront pour faire le procès des anglophones ou du gouvernement péquiste de Pauline Marois.

Quelles que soient nos allégeances, on ne peut que constater que la radicalisation des discours crée un climat malsain qui ne sert personne. Au lendemain de cette tragédie, l'heure n'est pas aux accusations, mais à la prise de conscience. Ceux qui ont des tribunes publiques, qu'ils soient politiciens ou commentateurs, ont une responsabilité particulière à cet égard. La responsabilité d'éviter toute récupération dangereuse de cette tragédie. La paix sociale est trop fragile pour la laisser entre les mains de souffleurs de braise.

Soyons clairs. Rien ne justifie de tels actes. Par-delà nos différends, anglophones ou francophones, souverainistes ou fédéralistes, nous sommes tous en deuil.

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Fil des événements

> Peu avant minuit mardi soir, Pauline Marois, chef du Parti québécois et première ministre désignée, prononçait son discours de la victoire, au Métropolis de Montréal - une salle pouvant accueillir jusqu'à 2300 personnes.

> Vêtu d'un peignoir bleu et d'une cagoule noire, Richard Henry Bain, résidant de La Conception qui aura 62 ans le 8 septembre, s'est approché de l'entrée des artistes, derrière le Métropolis.

> M. Bain a tiré en direction de la salle et atteint deux techniciens. À l'intérieur de la salle, le son de l'arme a été couvert par le vacarme des militants, qui n'ont rien entendu.

> La mort de Denis Blanchette, technicien de scène de 48 ans, père d'une fille de 4 ans, a été constatée sur place. Il aurait empêché le tireur d'entrer dans le Métropolis.

> Un autre technicien de 27 ans, Dave Courage, a été touché au niveau du bassin. Il a été opéré à l'Hôpital général de Montréal et son état est stable. Un troisième homme a été traité pour choc nerveux au même hôpital, puis a reçu son congé.

> Rapidement, un agent de la Sûreté du Québec a tiré le blessé à l'intérieur du Métropolis et verrouillé la porte. Le suspect a allumé un incendie à l'extérieur de la salle.

> Des policiers ont ensuite plaqué le tireur au sol. «Les Anglais se réveillent, a dit l'homme. It's gonna be fucking payback.» Un policier en civil a pris au moins deux armes saisies au suspect, une arme de poing et un fusil d'assaut.

> Pendant ce temps, alors qu'elle prononçait toujours son discours télédiffusé en direct, Mme Marois a été promptement entraînée dans les coulisses par ses gardes du corps. Elle est ensuite retournée au micro et a demandé aux militants de quitter la salle calmement.

> Une fois le suspect dans une voiture de patrouille, des policiers ont fouillé son véhicule de type Yukon GMC, garé dans le stationnement des Habitations Jeanne-Mance. Ils y auraient trouvé un bidon de liquide inflammable et une scie.

> Pendant son interrogatoire, hier matin, M. Bain a été transporté à l'hôpital sous protection policière, en raison d'un léger malaise. Selon la police, il pourrait comparaître aujourd'hui. C'est la Sûreté du Québec qui mène l'enquête.

- Marie Allard