«Nous ne craignons pas d'être tués, blessés, arrêtés ou torturés. La peur n'existe plus. Les gens veulent vivre dans la dignité.»

Un an après le soulèvement égyptien, le jeune homme aveugle qui parle ainsi à la caméra est Ahmed Harara. Un dentiste de 31 ans, devenu malgré lui le porte-parole des révolutionnaires de la place Tahrir.

Harara a perdu l'oeil droit en janvier 2011 dans un affrontement entre manifestants et forces de sécurité égyptiennes. Il a perdu l'oeil gauche en novembre lors des manifestations contre le pouvoir militaire. Il a soixante-quatre billes de plomb dans la tête, six dans le cou, quatre dans la poitrine. Ce qui ne l'empêche pas de vouloir continuer à se battre pour la dignité de son peuple.

Alors que des milliers d'Égyptiens ont envahi de nouveau la place Tahrir hier, à l'occasion du premier anniversaire du soulèvement anti-Moubarak, j'ai repensé à la ferveur de tous ces manifestants rencontrés en reportage au Caire, en novembre. À Ghada, pharmacienne de 28 ans, amie d'Ahmed Harara, qui venait de recevoir une balle dans le bras et qui me disait, les larmes aux yeux, pourquoi elle tenait malgré tout à demeurer sur la ligne de front. À Aliaa, cette étudiante en communication de 20 ans forcée de vivre dans la clandestinité après avoir osé se dénuder pour faire un pied de nez aux islamistes. À Nasreen, 31 ans, venue à la place Tahrir en cachette, qui avait l'impression que «sa» révolution lui avait été volée. À Mohamed, ingénieur de 26 ans, qui gardait espoir malgré tout, convaincu que la révolution ne faisait que commencer.

Je repense à leur courage. Je repense à leur amertume aussi. Car un an plus tard, même si Hosni Moubarak a été chassé du pouvoir après 30 ans de dictature, l'heure n'est pas aux grandes célébrations. Bien des révolutionnaires, qui ont pleuré de joie au moment de la chute de Moubarak, sont déçus. Déçus par la victoire des Frères musulmans, grands gagnants d'une révolution qui n'est pas la leur. Déçus surtout par le pouvoir militaire qui ne se gêne pas pour opprimer ses opposants.

Depuis un an, il n'y a eu aucun progrès en matière de protection des droits de l'homme en Égypte. Aucune enquête exhaustive sur les actes de torture pratiqués par la police. Plus de 800 Égyptiens sont morts sous la répression ou la torture. Plus de 12 000 civils ont été renvoyés devant des tribunaux militaires. C'est plus que le nombre total de civils ayant subi le même traitement durant les 30 ans du joug Moubarak, rappelle Human Rights Watch.

L'annonce d'une levée partielle de l'État d'urgence mardi ne rassure guère. Car le Conseil militaire dit vouloir garder le pouvoir de restreindre les libertés publiques et les droits des détenus afin de lutter contre la violence des «voyous», une catégorie nébuleuse mal définie qui laisse, encore et toujours, le champ libre à l'arbitraire et aux mauvais traitements.

Beaucoup sont inquiets. Inquiets pour les droits de l'homme. Inquiets pour l'économie égyptienne exsangue. Inquiets pour l'avenir des minorités chrétiennes. Inquiets pour le sort des femmes, presque invisibles au sein du nouveau Parlement. Inquiets par la percée-surprise des fondamentalistes salafistes, qui ont récolté le quart des votes.

Un an après le début de la révolte, il y a mille et une raisons de s'inquiéter. De là à signer l'arrêt de mort de cette révolution, en regardant avec condescendance les premiers pas démocratiques des Égyptiens, il y a toutefois un pas. Dopés à l'instantanéité médiatique, on tend à oublier qu'une année, c'est bien court dans l'Histoire d'un peuple. Pensez à la Révolution française. En 1790, un an après la prise de la Bastille, la France était encore une royauté loin de ses idéaux de liberté, d'égalité et de fraternité. Et quatre ans plus tard, c'était encore la Terreur...

Ce qui donne espoir, c'est le courage des indignés égyptiens. Ils sont peut-être amers. Mais ils n'ont plus peur. Ils ne se tairont plus.