Au moment où il aurait sans doute eu le plus besoin de ses services, le gouvernement a décidé d'abolir le Conseil des relations interculturelles.

Aussi illogique soit-elle, cette décision n'a malheureusement rien d'étonnant. Boudé par le ministère de l'Immigration, le Conseil semblait avoir un pied dans le cercueil bien avant que la ministre Monique Gagnon-Tremblay n'annonce sa mort la semaine dernière, au nom de l'équilibre budgétaire. La présidente du défunt Conseil, Patricia Rimok, reconnaît elle-même que son organisme, à cause d'un manque de moyens et de ressources humaines, n'arrivait plus à remplir l'ensemble de son mandat. «On est surpris sans être surpris, m'a-t-elle dit hier, résignée. On ne peut pas ignorer l'assainissement des fonds publics.»

 

Un Conseil des relations interculturelles, ça sert à quoi au juste? Petit rappel pour ceux qui ne connaissaient pas le défunt: cet organisme, connu à ses débuts comme le Conseil des communautés culturelles et de l'immigration, en était un de consultation et de recherche. Sa mission première, depuis 25 ans, était de conseiller le (ou la) ministre de l'Immigration sur les questions relatives aux relations interculturelles et à l'intégration des immigrants. Ses conseils s'appuyaient entre autres sur des recherches et des consultations sur le terrain. «Pour les populations immigrées, le Conseil servait presque d'escalier menant au ministère de l'Immigration», m'a dit hier Patricia Rimok, qui regrettait la disparition de cet accès.

Il fut un temps où le travail du Conseil des relations interculturelles avait une influence réelle sur les décisions politiques en matière d'immigration. On pense notamment à l'époque où il était dirigé par Arlindo Vieira, cet avocat d'origine portugaise, ex-attaché politique de Gérald Godin, qui avait lancé les premiers grands débats publics sur l'immigration au Québec dans les années 90. On se rappellera aussi que le Conseil avait été entre autres l'un des premiers à parler de programme d'accès à l'égalité.

Malheureusement, au moment où le débat sur l'immigration a commencé à prendre de plus en plus de place dans la société québécoise, le Conseil des relations interculturelles est devenu un organisme-conseil de plus en plus faible dont on ignorait les conseils. Pourtant, démographie et économie obligent, l'avenir du Québec, on le sait, dépend de l'immigration. Et sa cohésion dépend de la façon dont on arrivera à gérer les questions complexes qu'elle entraîne. Au lendemain de la commission Bouchard-Taylor, on a vu qu'il suffit parfois de peu pour que le débat dérape. Dans ce contexte, au moment où il devient impossible d'aborder la question de l'immigration autrement que sous l'angle de la polarisation Nous-Eux, il est dommage que l'on ait choisi de se priver de la voix du Conseil des relations interculturelles.

L'abolition du Conseil des relations interculturelles est d'autant plus ironique que la toute première recommandation du rapport Bouchard-Taylor en matière de diversité rappelle l'importance de garder bien vivant cet organisme. C'était la recommandation A1: «Que l'État octroie beaucoup plus de moyens aux organismes dont le mandat est d'informer et de protéger les citoyens». Le rapport faisait référence en priorité au Conseil des relations interculturelles ainsi qu'à la Commission des droits de la personne. Il proposait même d'élargir le mandat du Conseil en lui confiant le mandat de superviser un «Office d'harmonisation interculturelle» qui aurait pu entre autres soutenir les institutions dans leur gestion des demandes d'accommodement. On a vu, notamment avec l'épisode de l'étudiante au niqab au cégep Saint-Laurent, que des gestionnaires pourraient bénéficier de ce genre de soutien.

Mais voilà, au lieu de donner plus de moyens au Conseil des relations interculturelles, le gouvernement l'a remercié pour ses conseils, qu'il n'écoutait pas de toute façon. On dira qu'il est sans doute moins hypocrite et plus économique d'abolir un Conseil devenu fantoche que de le maintenir artificiellement en vie pour se donner bonne conscience. Cela dit, on se demande bien si ces économies de bouts de chandelle en valent la peine. Le Conseil des relations interculturelles n'avait que sept employés et un budget de 860 000$. Le gouvernement prévoit le transfert de ses activités au ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles. On voit mal l'intérêt de procéder de cette façon. Car la pertinence même de cet organisme tenait à sa distance critique et à sa capacité d'amener sous le radar politique des questions importantes toujours reléguées à l'arrière-plan. S'il est désormais noyé au sein même du ministère qu'il est censé critiquer et conseiller, où est l'intérêt?