«Nous sommes venus ici pour nos enfants», nous disent très souvent les immigrés qui débarquent par milliers au Québec. Et les enfants, eux, comment vivent-ils avec ce rêve en héritage? La chroniqueuse Rima Elkouri et le photographe Alain Roberge sont allés à la rencontre d'enfants d'immigrants devenus grands qui leur ont raconté ce qui est advenu du rêve de leurs parents. Six jeunes allophones de 18 à 22 ans, tous étudiants du cours de français de Catherine Kozminski, au Collège Champlain.

Y a-t-il d'autres Pachtounes à Saint-Jacques-le-Mineur?

«Non, pantoute!» m'a répondu Fatima en riant, drapée sous un voile coloré.

Faut-il se couvrir les cheveux quand on ira chez vous? avait demandé sa professeure Catherine Kozminski, invitée à se joindre à nous pour la journée.

«Non, non !» a répondu sans hésiter Fatima, sourire timide et joues rougissantes.

Ainsi nous sommes-nous retrouvés, Catherine, Alain Roberge, mon collègue photographe, et moi assis par terre dans le Petit Patchounistan de Saint-Jacques-le-Mineur - un ancien restaurant de station-service transformé en maison. Autour d'un repas, nous y avons causé de guerre et de paix, de voile et de choix, de cuisine et de bébés.

La scène avait quelque chose d'à la fois tout à fait exotique et de tout à fait ordinaire dans cet univers où se côtoient drapeaux du Canadien et tapis de prière, iPhone et musique coranique, des «pantoute» et du pachtoune.

Les femmes s'affairaient à la cuisine. Le petit Imad, 3 ans, caché derrière le congélateur, nous épiait du coin de l'oeil. Une des grandes soeurs de Fatima, Zubeda, 20 ans, vêtue d'un kamis partoug multicolore, tentait de faire dormir son bébé de 2 mois emmailloté à la pakistanaise. Et quand Alain passait d'une pièce à l'autre de la maison, les femmes de la maison replaçaient d'un geste furtif leur sazar coloré pour cacher leurs cheveux.

Depuis 2004, Fatima habite là avec ses 10 frères et soeurs, quelques belles-soeurs et une ribambelle d'enfants. Comment la famille a-t-elle atterri à Saint-Jacques-le-Mineur, petite municipalité de la Rive-Sud qui ne compte pas d'autres immigrants? «Internet», m'a dit le père de Fatima. Lui qui a déjà connu les petits logements de Parc-Extension, du temps où il y tenait commerce, voulait une maison assez grande pour loger ses 11 enfants et leurs familles respectives.

Si nous nous sommes retrouvés là, plongés dans un univers dont nous ignorions presque tout, c'est grâce à Catherine Kozminski, professeure de français au collège Champlain à Saint-Lambert. Tous les jours, Catherine côtoie dans ses classes des élèves venus des quatre coins du monde. Parmi eux, une majorité d'enfants d'immigrants qui traînent avec eux trois langues, plusieurs cultures et des histoires parfois très dures, de conflits, de fuites et de recommencements.

Parfois, par curiosité, Catherine, qui vit elle-même à cheval entre les cultures française et polonaise héritées de son père et la culture québécoise héritée de sa mère, s'amuse à dire à ses élèves: «Levez la main ceux qui sont d'origine québécoise ou canadienne.» En général, il y a une seule main qui se lève.

Ces élèves aux racines étrangères sont beaucoup plus intéressés par la société québécoise que ce que l'on croit, plaide Catherine. On tend à penser que le français n'est pas important à leurs yeux. C'est faux, dit-elle. «La raison pour laquelle j'aime tellement ce que je fais, c'est qu'il y a une complicité qui s'établit avec mes élèves même si, pour la plupart, le français est quand même difficile. Mais ils font tellement de progrès...»

Elle leur dit toujours : «Soyez fiers de parler français.» Ce qui la ravit le plus, c'est d'entendre des élèves lui dire à la fin d'une session qu'ils ont le goût d'aller plus loin, de découvrir encore davantage cette culture francophone très riche qui se bat depuis des centaines d'années pour subsister. «Le but, dans le fond, c'est d'aller les chercher et de leur montrer que le français, c'est intéressant et important pour leur intégration.»

Le reportage multimédia que je vous invite à aller voir est d'abord né de l'admiration que voue cette professeure à ses élèves, de sa volonté de leur rendre justice, de faire tomber quelques idées reçues à leur sujet. Elle nous a ouvert la porte de sa classe. Nous y sommes entrés. Et nous en sommes ressortis souvent émus.

L'idée de départ était toute simple: donner la parole à des jeunes allophones dont la réalité est méconnue, les laisser nous raconter leur univers à cheval entre plusieurs cultures, leurs rêves.

Outre Fatima Khan, qui rêve d'être journaliste, nous avons rencontré Nirojan Mahendrarajah, jeune Montréalais d'origine sri-lankaise qui rêve d'être ingénieur en aéronautique. Leslie Castro, artiste d'origine péruvienne de Brossard qui veut devenir designer graphique, amoureuse du Québec et d'un Québécois. Anmar Al-Jubouri, Irakien de Saint-Hyacinthe, fou de basket, qui se fait toujours demander s'il est latino, et désire travailler dans le domaine du tourisme. Aalia Adam, jeune femme d'origine indo-musulmane qui écoute avec compassion des patients de l'Hôpital juif en attendant de devenir la Oprah Winfrey de Boucherville. Christian Giacomini, futur policier qui, au lendemain de l'affaire Villanueva, croit qu'il peut - et doit - améliorer les relations entre les autorités et les minorités, lui qui est tombé dans la soupe multiethnique quand il était petit.

Je ne vous en dis pas plus. Je préfère leur céder la parole. Allez entendre les témoignages touchants qu'ils nous ont rendus dans le cadre de ce reportage multimédia inédit qui vous transportera dans un ailleurs qui est bien d'ici.

Photo d'archives Alain Roberge, La Presse

Catherine Kozminski, professeure de français au collège Champlain à Saint-Lambert.