Il y a de ces chiffres qui me font sursauter chaque fois que je les vois. Pas tant parce qu'ils sont nouveaux, mais surtout parce qu'ils sont vieux. Vieux et scandaleux.

Je parle ici des données toujours aussi peu réjouissantes sur la pauvreté que met en relief le dernier bilan de santé de la métropole. Même si la proportion d'enfants pauvres de la grande région de Montréal a légèrement diminué depuis l'an 2000, la situation demeure très préoccupante, nous rappelle la Fondation du Grand Montréal. Vingt-deux pour cent des enfants montréalais vivent au sein de familles à faibles revenus. C'est plus d'un enfant sur cinq. C'est énorme. La situation n'est guère plus joyeuse ailleurs au pays. Mais qui s'en préoccupe vraiment en ces temps de campagne électorale et d'ouragans financiers? Avez-vous entendu un seul chef de parti se prononcer haut et fort sur la question?

Ainsi tolère-t-on comme si c'était une fatalité que 33 000 enfants, chaque mois, aient recours à la banque alimentaire à Montréal seulement. Trente-trois mille enfants. C'est énorme. Comme si l'on trouvait normal que la charité se substitue à des mesures de justice sociale.

On accepte aussi sans trop rouspéter les conséquences dramatiques d'une pauvreté qui n'est pas que matérielle. On tolère qu'un enfant sur trois à Montréal ait, pour cause de pauvreté, des problèmes de développement au moment d'entrer à l'école. Un enfant sur trois qui n'est pas prêt pour la maternelle. C'est énorme.

Encore une fois, la pauvreté demeure un enjeu oublié d'une campagne électorale qui vise à séduire la classe moyenne. Pourtant, les problèmes sont criants. Et la crise financière n'augure rien de bon. Lisez ou relisez l'excellente série d'articles sur Montréal la paumée que l'on publiait dans nos pages, il y a trois semaines. Vous verrez que derrière ces chiffres qu'on préfère ne pas voir, il y a des réalités bouleversantes, des enjeux de taille qui ne concernent pas que les oubliés de Montréal la paumée, mais la société dans son ensemble, qui se révèle par la manière dont elle traite ses citoyens les plus vulnérables.

Bien sûr, la pauvreté, tout le monde est contre, en principe. En autant que l'on baisse les impôts... En 1989, sous le gouvernement de Brian Mulroney, la Chambre des communes s'engageait même à éliminer la pauvreté des enfants au pays avant l'an 2000. Éliminer, rien de moins! Et puis, l'an 2000 est arrivé. Et puis? Et puis, rien. Les chiffres sur la pauvreté au pays n'ont à peu près pas changé depuis 1989. On note çà et là quelques données plus encourageantes, notamment au Québec où les garderies à 7$ et les congés parentaux bonifiés ont permis à certains de souffler. Mais au final, les gouvernements au pouvoir se sont succédé, les promesses se sont envolées, les pauvres sont restés, croissance économique ou pas.

Ainsi, alors que Montréal a connu une dernière année exceptionnelle sur le plan de l'emploi, Moisson Montréal s'inquiète de voir de plus en plus de «working poor» faire appel à ses services. Des gens qui travaillent, mais qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts. Le profil de la clientèle «à statut précaire» qui a recours à l'aide alimentaire «tend à s'éloigner du cliché de l'assisté social», note l'organisme dans son dernier bilan. La proportion de travailleurs à temps plein faisant la queue devant des comptoirs alimentaires a augmenté de 24% en 2007 et celle des étudiants vivant de prêts et bourse de 28%. C'est dire que le pauvre n'est pas toujours celui qu'on imagine.

La bonne nouvelle, si l'on en croit le sondage CROP que nous publions, c'est que le silence des politiciens sur le sujet n'est pas à l'image de la sensibilité des Montréalais. Aux yeux des répondants, la pauvreté ressort comme un des enjeux prioritaires auxquels il faudrait s'attaquer si on veut améliorer la qualité de vie à Montréal. Sur le terrain, des gens du milieu communautaire ou des citoyens à la conscience sociale aguerrie n'attendent pas les politiciens pour agir. Tant mieux. Mais cela ne suffit pas. La charité est une chose. La justice sociale en est une autre. La première est un mal nécessaire. La seconde est une nécessité. Au-delà des promesses en l'air, encore faudrait-il que ceux qui ont le pouvoir de changer les choses s'en préoccupent vraiment.

COURRIEL

Pour joindre notre chroniqueuse rima.elkouri@lapresse.ca