C'est devenu une game de coachs. Et c'est peut-être pour le mieux. Plus les amateurs vont connaître leur hockey et plus ils vont apprécier ce nouveau sport qu'on joue devant eux.

C'est vrai à Montréal où les vétérans Jacques Martin et Claude Julien sont épiés, analysés et jugés selon leurs décisions et leur plan de match.

C'est tout aussi vrai à Tampa, où les jeunes Guy Boucher et Dan Bylsma arrivent à contrôler le flux et reflux d'un match presque à volonté. Si les partisans ne voient pas toute la stratégie déployée par les entraîneurs, les dirigeants et les médias sont frappés par la complexité des plans de match. Et on ne parle pas des ridicules «plans de match» qu'on vend commandités à RDS.

Les joueurs sont conscients que le hockey a atteint un nouveau palier et ils peuvent apprécier le travail d'un entraîneur selon un autre critère que leur temps de glace.

Lundi soir à Tampa, les Penguins de Pittsburgh ont disputé un match extraordinaire entre les deux lignes bleues. Les talentueux attaquants du Lightning n'ont jamais eu d'espace pour manoeuvrer et se lancer à fond de train vers le but de Marc-André Fleury. Faut dire que les deux buts marqués en première période par les Penguins permettaient à Dan Bylsma de travailler à son aise. «Y coache en tabarnouche!» a lancé Maxime Talbot, longtemps après le match.

Le vétéran des Penguins, marqueur du premier but, parlait de Dan Bylsma. Faut dire que la seule place où j'ai pu voir Sidney Crosby, lundi soir à Tampa, c'était dans le corridor du Forum, après le match. Et je n'ai pas vu du tout Evgeni Malkin. Sans Malkin et Crosby, les Penguins ont quand même dominé le jeu à cinq contre cinq. Les deux buts de Martin St-Louis ont été comptés en avantage numérique. «Bylsma sait préparer un plan de match. Il sait comment enseigner son système de jeu et il sait comment nous faire relaxer. Dans le vestiaire, même quand la situation est corsée, il va souvent faire une petite blague, il va avoir un sourire et les gars vont se détendre. On comprend ce qu'il veut et on essaie de le faire», a ajouté Talbot.

Marc-André Fleury adore le système de jeu de Bylsma. «Parce que tous les joueurs sur la glace se trouvent à aider le gardien. Et puis, il est allé à la Coupe Stanley comme les vétérans de l'équipe. Il sait que c'est long, il sait que ça demande beaucoup d'énergie et qu'il ne faut pas trop s'exciter quand on gagne et déprimer quand on perd.»

Quand même, Fleury avait un très beau sourire.

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Toujours le coach. On ne parle pas d'un Toe Blake qui dirigeait son exercice à 10h pour aller accueillir la clientèle à sa taverne à midi. En fait, les premiers vrais coachs modernes qu'on a connus en Amérique s'appelaient Viktor Tikhonov et Scotty Bowman. C'est fou comment les joueurs d'aujourd'hui sont plus conscients qu'à une époque encore récente. Par exemple, Vincent Lecavalier, les traits tirés, analysait la défaite du Lightning comme un coach l'aurait fait: «Les deux premiers buts nous ont fait payer des erreurs d'exécution. On savait ce qu'il fallait faire dans ces situations et on l'a mal fait. Après, Guy (Boucher) a dû «couper» le banc pour nous donner une chance de revenir dans le match et d'égaler le score. On dépense alors des forces à vouloir provoquer des chances. Et puis, plus le match avançait et plus la chaleur devenait oppressante. C'est dur. Mais on savait que ce serait une longue série.»

Guy Boucher, une fois toutes les entrevues données avec un ton et une voix graves qui rappellent furieusement Steve Yzerman, a enfin pu se détendre. Habité par une passion qui ne s'apaise qu'en juillet dans son chalet sans électricité et sans téléphone, Boucher revoyait tout le match dans sa tête: «Ce qui est frustrant, c'est que les Penguins ont marqué dans des situations qu'on sait comment contrôler. Le but vainqueur est survenu après une mise en jeu. On sait ce qu'ils font à ce moment-là quand ils gagnent la mise en jeu, on sait comment réagir, mais quelqu'un n'a pas fait le bon jeu. Et ça a balayé deux périodes d'efforts intenses pour revenir dans le match. C'est frustrant mais il faut recommencer, on n'a pas le choix.»

«Tout le monde a ouvert le livre à la même page», a dit Martin St-Louis avant la défaite des siens. Il a raison. Tous les coachs de la Ligue nationale savent exactement comment on doit se comporter dans toutes les phases du jeu pour gagner. Donc, comme c'est le cas dans le football de la NFL, la victoire devient une affaire d'exécution. Et à la limite aux talents exceptionnels qui peuvent faire une différence.

C'est à qui convaincra les joueurs d'exécuter le plus parfaitement possible les bouts de plan de match qui se développent pendant le jeu. À Montréal, Jacques Martin y arrive très certainement.

C'est pour ça que les coachs motivateurs et qui fonctionnent au «ra...ra...ra!» ne peuvent plus s'installer dans la Ligue nationale d'aujourd'hui. Et c'est également pour cette raison que même les plus grandes vedettes sont obligées de se plier au système très strict de leur équipe. Le joueur moyen sait ce qu'il doit faire avant même la mise en jeu. Pour le battre, le joueur talentueux doit faire comme lui... mais encore mieux. C'est épuisant et exigeant.

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Et puis, ce qui renforce encore la poigne des coachs sur la game, c'est le laxisme des arbitres. Simon Gagné le soulignait lundi soir: «Plus on avance dans la saison et plus ça ressemble à ce qui se passait avant le lock-out. Ça permet aux moins bons d'empêcher les bons de s'exprimer», a-t-il dit en substance. C'était très bien dit.

Il fulminait contre le coup de coude derrière la tête que lui a administré Chris Kunitz en première période. «La ligue parle mais elle n'est pas assez sévère. Je suis certain que Kunitz ne sera pas puni .»

Là-dessus, il se trompait. Kunitz a écopé d'un match de suspension. Pour égaler les chances (et parce qu'il le méritait), la ligue a également suspendu pour un match Steve Downie, un récidiviste pourtant talentueux.

Tant mieux pour la santé du sport et de ses joueurs mais à ce jeu, c'est Guy Boucher qui perd le plus.

DANS LE CALEPIN Il y a des problèmes de la vie courante des joueurs qui ont des conséquences sur leur jeu. Prenez Simon Gagné. Le Québécois n'avait jamais été échangé dans sa carrière. En septembre dernier, il s'est retrouvé à Tampa. «Ça a été très difficile. Ma femme était enceinte, elle ne connaissait personne dans la ville. Elle ne se sentait pas rassurée. Il y a des soirs où elle m'appelait entre deux périodes dans le vestiaire parce qu'elle ne se sentait pas bien. On a eu le bébé en février et après, les choses se sont replacées. Mais les premiers mois à Tampa n'ont pas été évidents», a dit Simon Gagné hier. Ces grands gaillards sont avant tout des gars d'une trentaine d'années qui vous ressemblent dans leurs problèmes quotidiens. Sauf qu'ils sont plus forts, plus riches et plus célèbres. Mais le fond reste le même.

LIGHTNING vs PENGUINS