Le Tour, c'est trois semaines de vélo, avec plus ou moins de montagnes d'une année à l'autre, plus ou moins de contre-la-montre, d'arrivées en altitude, qu'importe, à la fin, c'est le meilleur - dopé pas dopé - qui gagne.

Et de un: ce n'est pas le meilleur qui a gagné cette année. Le meilleur n'était pas Bradley Wiggins, mais son coéquipier Christopher Froome, bien à l'étroit dans son habit de domestique de luxe et le manifestant par trois ou quatre petites attaques sournoises contre son propre leader, ce qui en dit long sur sa grandeur d'âme.

Et de deux: plutôt que trois semaines de vélo, cela a été une suite de 20 courses d'un jour disputées par un maximum de 50 coureurs, c'est pas beaucoup, sur 198. On ne peut pas dire qu'on a vu souvent en tête du peloton les Greenedge, les Shimano, les Saxo, les Cofidis, les Lampre, les Saur, les Euskatel, les Omega, les Vacansoleil, les AG2R, ni même les Rabobank, dont Luis Léon Sanchez a sauvé le cul de justesse.

Ce Tour a terriblement manqué de panache, le grand favori n'a pas été inquiété une seule petite fois, le second favori a rongé son frein, les autres, Evans, Nibali, Van den Broek, étaient sans ressort, Evans surtout, qui avait la tête (et plus encore les jambes) ailleurs.

Au total, un petit Tour de France sauvé par les coureurs français qui remportent cinq étapes - c'est qui le nono qui disait au départ qu'on ne verrait pas les Français, ni Voeckler? C'est moi, lalalère -, sauvé surtout par les jeunes, le Slovaque Peter Sagan, maillot vert et trois étapes, l'Américain Tejay Van Garderen, le plus complet (le plus Armstrong, si on veut bien le prendre comme une promesse), les grimpeurs français Thibaut Pinot et Pierre Rolland, peut-être des futurs vainqueurs de Tour, mais plus probablement des ex-futurs-vainqueurs, comme cela semble être la règle en France, qui manque si cruellement de vainqueurs de Tour de France qu'elle les dévore avant qu'ils soient grands.

Je l'ai dit autrement dans une précédente chronique, le Tour est rongé pas un mal mystérieux, qui n'est pas le dopage, il n'y a rien de mystérieux dans le dopage, qu'est-ce donc alors? Je ne sais pas. On dirait une de ces bibites comme l'agrile du frêne ou ces champignons microscopiques qui rongent les ormes, l'arbre se dessèche de l'intérieur, la sève vient à manquer, dans le Tour, c'est la passion qui commence à manquer.

La dernière semaine pyrénéenne a conforté mon opinion. S'il fallait résumer le Tour de France 2012, je montrerais une image: ce peloton de 40 coureurs en haut du mur de Péguère.

En avaient-ils parlé du mur de Péguère! Oh lala! le mur de Péguère, depuis le dévoilement du parcours l'automne dernier, des pages sur le mur de Péguère, des pentes à 18%, 14% de moyenne, on allait voir ce qu'on allait voir: une hécatombe...

Ce fut plutôt une promenade dans le parc. Devant caracolaient des échappés, dont Leon Luis Sanchez qui allait gagner, détaché, à Foix. Derrière à 18 minutes - pas à 18%! à 18 minutes - une quarantaine de coureurs, dont les favoris, ont passé ensemble, roue dans la roue au sommet du fameux mur de Péguère qu'ils venaient de grimper peinards comme si c'était un pont de chemin de fer, j'exagère mais eux aussi: 40 en haut d'un col difficile, ce n'est pas le Tour de France, ce n'est même pas une cyclosportive, c'est ma tante Germaine qui fait le tour du bloc.

Je ne suis pas en train de vous dire que ce Tour de France s'est couru au ralenti. Je suis en train de vous dire que la course devant, pour la victoire de l'étape, a souvent montré des belles choses, cette victoire de Sanchez justement, celle de Valverde, les deux victoires de Voeckler, celle de Pierre Rolland. Mais la course derrière, celle des favoris, quel ennui!

La course derrière, celle pour le maillot jaune, a été cadenassée par les Sky après Besançon, six coureurs ont étouffé les 180 autres, vous ne l'avez pas remarqué parce que ce travail-là se fait dans l'ombre et silencieusement, les coupables sont deux Anglais, Froome et Wiggins, deux Australiens, Rogers et Porte, un Norvégien, Boasson Hagen, et un Allemand, Christian Knees.

On pourrait multiplier les exemples comme celui du mur de Péguère, tenez, la descente très technique du col du Mollard, un vrai tue-monde, Wiggins qui descend comme une brouette allait finir dans un précipice et Nibali... Nibali rien du tout mon vieux, Nibali n'a pas bronché et Wiggins a descendu à 80 à l'heure comme les autres.

Je résume, derrière les fringants vainqueurs d'étape, le Tour, morne plaine même en montagnes, s'est fondu dans son mythe, dans sa sirupeuse nostalgie, dans son décor, dans un héroïsme de mots et encore, même les mots commencent à manquer, moins de pages dans L'Équipe - où sont passées les grandes plumes?

Moins de passion surtout.

LES JEUX - N'oubliez pas samedi qui vient la course sur route des Jeux olympiques. Cavendish? Pas sûr. Hesjedal? Impossible, il sera le seul Canadien. Les filles, c'est le lendemain. Clara Hughes? M'étonnerait. Le mercredi suivant, les deux contre-la-montre olympiques, et là oui, Clara Hughes, l'argent.

SPECIALIZED - Le ti-cul déchaîné sur son bicyk sur une route de campagne rêve qu'il est en échappée, la voix du faux commentateur s'emballe: ce sera une grande journée, ce sera monumental, il court pour gagner, il court comme s'il était possédé... La première fois que j'ai vu cette annonce de Specialized, au début du Tour, je me suis dit ah tiens, c'est pas mal. La dixième fois, j'ai fermé le son. Et hier, j'étais bien content que le Tour soit fini.

L'autre jour, sur le chemin Saint-Armand, un Specialized m'a dépassé et je me suis mis à crier dans son dos: il court pour gagner, il court comme s'il était possédé, ce sera monumental, le gars est revenu, très gentiment il m'a demandé si ça allait: Oui oui, ça va merci. Je regarde trop la télé, c'est tout.

LA BEAUTÉ - Parlant de cyclos, l'autre samedi j'en croise un petit groupe à l'arrêt, à la croisée de plusieurs chemins. J'arrête. Vous êtes perdus?

On ne peut pas se perdre avec ça, me répond un des gars en montrant un GPS fixé à son avant-bras. Ils allaient à Philipsburg. J'y allais aussi. On a roulé un peu ensemble et puis ils ont tourné à gauche, moi je suis allé tout droit.

Hé hé c'est par là, m'a crié le gars en vérifiant sur son GPS.

Il avait raison. Enfin, son GPS avait raison. C'est incroyable ces trucs-là. Ça sait tout. Quel chemin est le plus direct, quel chemin est le plus plat, quel chemin est en gravelle, ma foi je pense que le GPS sait même s'il y a des bananes au dépanneur du village. Il y a juste un truc que le GPS ne sait pas et ne saura jamais: quel chemin est le plus beau.

Allez rouler, allez, l'été n'a jamais été aussi beau.