J'ai fait un sacré saut dans le passé en visionnant le reportage d'Enquête sur cette dame qu'on a fait cuire dans un cours de croissance personnelle. Ah mon Dieu! La même merde, exactement la même que lorsque je courais les séminaires de croissance personnelle pour en faire un reportage, il y a 25 ans. Tenez, par exemple, le coup du cercueil, le coup du il-faut-mourir-pour-que-meure-le-mauvais-esprit-en-toi, je l'ai fait, c'est pas dangereux du tout.

C'est un accident qui est arrivé à la dame. La croissance personnelle ne tue que très rarement. Elle rend débile souvent, par contre. Et elle fucke des vies. Plein. Et on fait rien. C'est ça, le scandale, on fait rien. La croissance personnelle est comme une moisissure qui s'est déposée sur la pop-psychologie et qui empoisonne les gens depuis plus de 40 ans. Mais on fait rien. Au nom de la liberté de pensée, de la libre entreprise aussi, peut-être, je sais pas.

Des jeunes femmes comme celle que nous a montrée Enquête, il y en a des milliers au Québec. C'est même le portrait type.

Une femme. C'est presque toujours une femme.

Et en province - pour le fun, quand cela adonnera, allez voir la section «croissance personnelle» dans une librairie de petite ville de province.

Une femme donc, en province, qui vit un petit creux existentiel: le couple tourne en rond. Surgit une amie qui justement se rend à une soirée d'information... Viens donc! Ça va te changer les idées. La fameuse soirée d'information. Avec des témoignages. Très important, les témoignages: une maîtresse d'école, une infirmière. La vie était en train de leur glisser sous les pieds, mais depuis qu'elles ont renoué avec leurs vies antérieures, le bonheur.

Grosse araignée dans sa toile, la gourouse emberlificote la nouvelle petite mouche. Lui propose un cours de reiki pour commencer - c'est rassurant, le reiki, c'est japonais, c'est dans le dictionnaire et ça calme les nerfs.

L'idée générale est de faire cracher la petite madame le plus longtemps possible, de la traîner de stage en stage, de séminaire en séminaire, de lui faire miroiter qu'elle aussi, bientôt - encore un petit effort -, elle aussi va pouvoir devenir gourouse. Une immense escroquerie. C'est l'autre scandale de la croissance personnelle.

C'était déjà ça il y a 25 ans quand l'actuelle ministre de l'Éducation, qui venait, je crois, de faire sa maîtrise sur le sujet, m'avait téléphoné (ou écrit, je ne sais plus) pour me proposer de dénoncer la chose.

Je me souviens de séances renaissance-cercueil dans un chalet des Laurentides. Je me souviens d'un week-end dans une école du Plateau; j'étais assis à côté de la mère et la fille, toutes deux très grosses, et le gourou, agressif, les houspillait publiquement:

Savez-vous pourquoi vous êtes énormes, mesdames? Dieu vous a donné ce surplus de poids pour mieux vous ancrer sur terre, pour vous dire que vous avez quelque chose de très important à y faire. Savez-vous quoi? savez ce que Dieu attend de vous?

Il attend que vous vous aimiez comme vous êtes, mesdames. Allez-vous enfin vous aimer comme vous êtes? Tant que vous ne vous aimerez pas, vous allez grossir et grossir encore. C'est Dieu qui vous envoie un message: allez-vous vous aimer?

Vouihihi! ont répondu les épaisses en éclatant en sanglots. Et tout de monde de se lever dans la salle et d'applaudir comme des vrais cons. C'était il y a 25 ans. Rien n'a changé.

Je me souviens d'une séance d'information dans un grand salon du Château Champlain sur l'irrigation du côlon. L'animateur a expliqué pendant une demi-heure à une assistance très «chambre de commerce» et très attentive - on aurait entendu voler une mouche - pourquoi l'homme ne peut pas pisser en même temps qu'il éjacule, graphiques à l'appui.

Les mêmes techniques d'endoctrinement, le même charabia, les mêmes animateurs avec des diplômes bidon de l'Université supramentale du Dakota-du-Sud, le même acharnement à étouffer tout esprit critique (le démon-en-toi). La même obsession de la confession publique, et 2000, 5000, 10 000 dollars plus tard, le même résultat nul.

Et souvent un couple brisé. C'est arrivé à un ami l'an dernier. Sa nouvelle fiancée - il était veuf - avait des migraines. Elle a ramassé dans une boutique granole une circulaire qui annonçait une conférence sur les chakras. Elle y a rencontré une thérapeute extraordinaire. Trois mois plus tard, elle avait toujours ses migraines, mais au moins elle savait pourquoi: ce n'était pas elle qui avait mal à la tête, c'était son «enfant intérieur». Elle se proposait d'ailleurs d'aller le soigner dans un séminaire donné par la même thérapeute, un séminaire sur l'optimisation des ressources mentales, séminaire qui se ferait sous forme de voyage chamanique sur les hauteurs de Flagstaff (Arizona), dans une réserve indienne.

Et les vrais psys qui ne disent rien. Et les gouvernements qui ne font pas grand-chose. Et les écoles qui s'en crissent, du moment que ce n'est pas du rationalisme laïque.

Si tout le monde s'en fout, pourquoi pas moi aussi, hein? Pourquoi pas?

Allez, vive la sudation, vive l'irrigation du côlon, vive l'urinothérapie, vive les cristaux, vive la convergence extatique, vive la sophro-hilaro-thérapie (on a déjà donné un atelier de ce truc-là à un congrès de l'Association québécoise des enseignants du primaire. Oui madame).

Et puis tiens, un coup parti, vive le dalaï-lama. Vive le bouddhisme tibétain. Vive Languirand.

Notez enfin que pour prolonger la réflexion sur ce sujet, je donnerai mercredi prochain une conférence sur «l'enfant intérieur» à 19 h à la faculté de théologie expérimentale de l'Université de Napierville, conférence dont le titre exact est: «L'enfant intérieur, comment le réchauffer sans le faire cuire». Billets à 75$ et 40$ (à 40$, c'est au balcon, mais on voit bien pareil).