Alberto Contador sera-t-il couronné champion pour la troisième année consécutive? Est-ce qu'Andy Schleck pourra enfin remporter le Tour après s'être incliné deux années de suite face à ce même Contador? Le Canadien Ryder Hesjedal répétera-t-il ses exploits de l'an dernier? Le 98e Tour de France se met en branle aujourd'hui sur le passage du Gois. Jusqu'au 24 juillet, les plus grands cyclistes de la planète se livreront une lutte de tous les instants afin de remporter les honneurs de la Grande Boucle au terme de l'arrivée triomphale du peloton sur les Champs-Élysées.

J'ai trouvé à me loger dans une chambre d'hôte au domaine de la Pénissière, un immense vignoble à une vingtaine de kilomètres au sud de Nantes, dans cette région où l'on produit le muscadet que je croyais fait de raisin muscat. Mais non, pas du tout!, proteste Gérard Bousseau, le vigneron qui m'héberge. Pas du tout! Le muscadet est fait d'un cépage que l'on nomme melon de Bourgogne mais qui ne s'adaptait pas en Bourgogne.

Gérard me sert un petit verre de la cuvée qui vient tout juste de gagner la médaille d'or au concours général 2011 de Paris.

Alors, vous aimez?

Je peux vous parler franchement? Je suis déçu. Je croyais que cela goûterait le muscat.

Mais je viens de vous le dire: muscadet, muscat, rien à voir.

Je suis déçu pareil, ce n'est pas sucré...

C'est du vin, pas du jus de raisin!

Parler de vin avec moi, qui n'en ai presque jamais bu de toute ma vie, c'est à peu près comme parler littérature avec Michel Bergeron. Imaginez le désespoir du pauvre vigneron. Pas rancunier, il m'a fait visiter ses 30 hectares de vigne, dont il tire 200 000 bouteilles de muscadet. Deux cent mille par année!

C'était à la tombée du jour, le soleil n'éclairait déjà plus le fond de la vallée. Je l'écoutais plus ou moins, plus sensible à la fin du jour qu'à la fabrication du vin, quand tout à coup j'ai accroché formidablement à ce qu'il disait. Il disait que la vieille vigne donne moins de raisin que la jeune, mais du bien meilleur, parce qu'elle pousse ses racines plus profondément et qu'elle va chercher tous les sucs de la terre, alors que la jeune vigne produit beaucoup, mais le fond n'est pas encore là. Vous comprenez?

Si je comprends? Parfaitement, monsieur. Je vous reçois cinq sur cinq. Vieux égale qualité, jeune égale production. C'est tellement vrai. Et on dit qu'une vigne est vieille à quel âge, monsieur?

Celles-ci ont 70 ans, ce sont celles de la médaille d'or...

Soixante-dix ans! Quel âge formidable!

De retour à la ferme, je m'en suis fait resservir un fond de verre. J'ai fait claquer ma langue comme les vrais. Ah, oui, oui, je le goûte bien, maintenant, cet arôme de vieux. Très intense en bouche. Ma-gni-fique.

EN VACANCES! Cela fait des années que je dis à mes boss: pour mon dernier Tour de France, mon dernier-dernier, vous allez me faire un cadeau: m'envoyer au Tour sans m'obliger à le suivre. Je vais me trouver un petit hôtel ou une chambre d'hôte dans le Puy-de-Dôme, dans la Creuse ou la Lozère. À l'aube, j'irai rouler par de petites routes qui grimpent, mais pas trop, à travers des bois de châtaigniers. Je serai de retour vers midi, juste avant que ferment le traiteur-charcutier et le pâtissier du village. Je dînerai dans ma chambre d'une salade de museau ou peut-être bien de pieds de porc panés. Chez le pâtissier, cela dépendra, mais j'aurai sûrement pris des trucs avec de la crème fouettée. J'aurai aussi les journaux: Le Monde et L'Équipe, peut-être Libé s'il n'y a pas un jeu de mots à la con à la une.

Puis une petite sieste.

Puis le Tour à la télé.

Puis, si vous êtes gentils, peut-être une petite chronique pour vous raconter tout ça sur fond d'étape du jour. Mais pas tous les jours. Je suis en vacances. C'est à moi que je le dis pour que je le sache: je suis en vacances, je suis en vacances. Vous, de toute façon, vous avez toujours cru que le Tour de France, c'était des vacances. Hon, vous en avez de la chance, monsieur Foglia, vous allez voir le Tour de France.

Vous ne m'avez jamais entendu quand je vous répondais: on ne voit pas le Tour de France, quand on y est. C'est la plus grande fraude de l'histoire du journalisme. Tous les ans, près de 2000 journalistes racontent une course qu'ils ne voient pas.

CARTE POSTALE L'étape d'aujourd'hui se termine en haut de la côte des Alouettes, que je viens d'aller pédaler. Si voulez mon avis, ce serait plutôt la côte des Colibris, et encore, c'est parce qu'il ne me vient pas en tête d'oiseau plus petit que le colibri. À force d'en parler pour faire la promotion de cette première étape du tour, on a fait une montagne de cette côte des Alouettes, en haut de laquelle doit triompher - tout le monde le dit - le Belge Philippe Gilbert, le meilleur baroudeur de l'heure. C'est bien possible. Mais peut-être aussi un sprinter tout-terrain, genre Hushovd, ou un coureur auquel on ne pense pas et qui va gagner pour ça, justement: parce que les autres n'y auront pas pensé. Voeckler, le petit malin, tiens...

Quant au décor de cette première arrivée du Tour 2011, rien pour écrire à sa mère, comme on dit. Une grande route nationale et, en haut de la côte, un resto, une chapelle, deux moulins dont on n'arrête pas de raconter que les ailes servaient à envoyer des signaux pendant les guerres de Vendée - guerres dont on a oublié le pourquoi. On a seulement retenu qu'elles battaient des ailes. Ainsi va l'Histoire, de carte postale en carte postale.

J'AI PEUR DE DEMAIN! Je suis en vacances, donc, mais il se pourrait qu'elles soient compromises dès demain! Je vous explique. L'étape de demain dimanche consiste en un très court contre-la-montre par équipe, 23 km, que pourrait gagner Garmin-Cervélo, avec ses spécialistes du contre-la-montre que sont David Zabriskie, David Millar, et ses gros rouleurs, Hushovd, Vandevelde, Navardauskas. Dans cette équipe, il y a aussi notre ami Ryder Hesjedal, seul Canadien du Tour, septième l'an dernier.

Si j'étais le directeur technique de Garmin - si j'étais surtout le commanditaire, M. Garmin lui-même-, lorsque le parcours du Tour 2011 est sorti en octobre dernier, j'aurais réuni mes coureurs: Les boys, on ne gagnera pas le Tour de France, mais on peut voler le show la première semaine, qui est la plus suivie des médias. On a l'équipe pour gagner ce contre-la-montre, s'emparer du maillot jaune, le défendre plusieurs jours et faire connaître les GPS Garmin au monde entier. Si cela arrive, je resigne pour trois ans.

Si j'étais le directeur technique de Garmin, je les aurais fait pratiquer comme des fous cet exercice extrêmement technique qu'est le contre-la-montre par équipe pour atteindre cette homogénéité qui est la clé de la victoire, une victoire qui se jouera à la seconde entre les Garmin, les Sky, les HTC et les RadioShack.

Disons que les Garmin l'emportent. Il y a alors des chances, petites mais très réelles, pour que Hesjedal prenne le maillot jaune. (J'y pense: il peut même le prendre aujourd'hui en haut de ce mont des Alouettes, qui lui convient parfaitement.) Anyway, disons Hesjedal en jaune. Et me voilà déchiré entre mon patriotisme canadien, mes vacances... et mon boss, qui me dit au téléphone: Ça fait 21 ans qu'un Canadien (Steve Bauer en 1990) n'a pas porté le maillot jaune au Tour de France... et t'es là!

Non, sacrament, je ne suis pas là. Je suis en vacances, bon.

C'EST À CAUSE DE ROMÉO Tout ça c'est la faute à Roméo, qui est né la semaine dernière. Je remplace son papa. Roméo qui, en passant, a bien failli s'appeler Zdeno, comme Chara, son papa étant le plus grand fan des Bruins de tout l'hémisphère Nord. Moi aussi, je tiens à le dire, la victoire des Bruins m'a fait un bien immense. Ce 4 à 0 dans le septième match de la finale, ah! quelle jouissance. Je suis devenu fan des Bruins en écoutant les Mario Tremblay et autres Michel Bergeron proférer des insanités après la défaite du Canadien. C'est bien que Vancouver ait perdu. En perdant, elle a évité le pire. Pire que les émeutes? Je le crois. Une victoire des Canucks et il y aurait eu quand même des émeutes - le chauvinisme se serait seulement ajouté à la bêtise.

Mais le vélo, monsieur Foglia, le vélo! Vous êtes au départ du Tour de France.

On se calme, je suis en vacances.

Quoi, le vélo? Voulez-vous savoir qui va gagner le Tour de France?

Mon ami Peppe Marinoni, qui ne se trompe presque jamais - Peppe est au vélo ce que le poulpe est au soccer -, Peppe doute de Contador, le grand favori de tout le monde. Pas de son talent, de son envie de courir le Tour et de sa forme actuelle. Peppe voit l'Anglais Bradley Wiggins gagner le Tour. Une bien «longue shot», même pour un poulpe. Andy Schleck et Basso complètent le podium de Peppe.

Moi? Moi qui me trompe toujours dans mes prédictions, je vois Contador, Contador, Contador.

Oui, mais n'est-il pas dopé?

Vous n'allez pas commencer ça? Si? Je vous fais une petite démonstration, O.K.? En 1996, il y a 15 ans, Riis, l'actuel directeur technique de Contador, a gagné le Tour, dopé. En 1997, Ullrich, dopé. En 1998, Pantani, dopé. Puis les sept victoires d'Armstrong. Puis Landis, dopé. Puis le scandale Rasmussen-Vinokourov, qui amène la première victoire de Contador. En 2009, Contador encore, qui fait alors équipe avec Armstrong.

En 2010, on ne sait pas. Pouvez-vous le croire? On est au départ du Tour 2011, mais on ne sait pas qui a gagné le Tour 2010! Contador, déclaré positif au clenbuterol, un anabolisant employé en médecine vétérinaire, est en attente d'une décision du Tribunal arbitral du sport, qui se prononcera en août. Contador peut gagner le Tour 2011 et, une semaine plus tard, perdre en même temps les Tours 2010 et 2011.

C'est fou, non?

Mais le plus fou, c'est pas ça. Avez-vous remarqué que j'avais sauté 2008 dans mon énumération? De 1996 à 2011, tous les vainqueurs du Tour ont été impliqués dans des histoires de dopage, sauf le vainqueur de 2008. Qui est...? L'Espagnol Carlos Sastre. Ici, soit vous éclatez de rire, soit vous vous mettez à pleurer, soit vous ne connaissez rien au vélo. Ce qui est probablement le cas. Mais je vous aime pareil.

Pour revenir à mes prédictions: Contador. Andy Schleck. Le vieux Chris Horner, 40 ans bientôt.