Je vous vois déjà tout décoiffés de la bourrasque annoncée pour lundi. Si j'ai bien compris, le Bloc et les libéraux vont en manger toute une. Je vous sens impatients d'aller voter socialiste, je devrais en être content, j'en suis seulement très vaguement amusé.

Je vous sens un peu frustrés aussi. Vos Canadiens se sont fait planter à Boston, c'est passé de travers, vous avez envie de le faire payer à quelqu'un, de briser quelques vitrines, de renverser quelques idoles. Duceppe à la trappe, allez hop. Coderre aussi? Ah non, pas Coderre, n'exagérez pas.

Ce n'est pas, anyway, ce dont parlera cette chronique. Cette chronique parlera de M. Ignatieff. J'ai en tête une phrase d'une récente chronique de mon collègue Vincent Marissal: bon produit, mauvais vendeur, M. Ignatieff était jugé avant que cette campagne commence. Il ne passe pas, point.

Ces dernières semaines, j'ai demandé à 12 000 d'entre vous pourquoi vous n'aimez pas M. Ignatieff, vous m'avez tous répondu: parce qu'il est arrogant. Des amis, des collègues, des gens, ma fiancée, même jugement lapidaire et péremptoire: arrrr-ro-gant. Dans un pays comme le Canada, où l'arrogance vient tout de suite après la pédophilie comme empêchement absolu à la citoyenneté, M. Ignatieff était condamné d'avance.

Surtout que ça n'en prend pas tellement pour être perçu comme arrogant dans ce pays. Tu maîtrises bien ton discours? T'as l'air de savoir ce que tu dis? Au lieu de tout simplifier, tu apportes des nuances qui rendent compte de la complexité des choses? Tu ne te caches pas d'être un intellectuel? T'es rien qu'un arrogant.

T'as pas une tête de mononcle comme la plupart des leaders politiques? T'es arrogant. T'as de l'ambition, c'est clair, des titres universitaires pour la porter, est-il assez arrogant, ce crisse-là?

Dois-je le préciser? Je ne partage rien avec M. Ignatieff. Si je votais, je ne voterais jamais pour lui. Reste qu'il a été, à mon avis, le politicien le plus décent de la campagne qui s'achève. Celui qui a le moins fait la pute. Celui qui nous a le moins pris pour des cons (comme l'a fait à répétition ce brave Jack, par exemple).

J'ai aimé aussi que M. Ignatieff ne soit pas hargneux sur la question de l'indépendance du Québec comme l'était M. Dion. J'ai aimé sa gaucherie dans les machins populaires. Gauche, mais jamais populiste comme M. Harper l'est tout le temps.

Parlant de M. Harper, lui aussi est un intello. Probablement un des phares les plus brillants de l'intelligentsia de la droite. La différence c'est que lui sait que se montrer intelligent est une tare rédhibitoire au Canada, alors il fait l'épais, juste ce qu'il faut pour que le Canadien moyen se reconnaisse en lui.

Quand M. Ignatieff est apparu sur la scène politique, j'ai annoncé qu'il était le grand leader que le Canada attendait depuis Trudeau. C'est pour vous dire que, contrairement à M. Harper, je n'ai vraiment pas à me forcer pour faire l'idiot. Bon produit, mauvais vendeur. Arrogant. Intello. Un petit peu étranger aussi. Ignatieff, c'est pas russe ça? Sont chiants, les Russes, non? Pas comme les Ukrainiens, y'en a plein en Saskatchewan, ils se tiennent tranquilles et tout, ils veulent même pas devenir premier ministre du Canada.

Une pub télé particulièrement meurtrière des conservateurs demandait aux Canadiens: Pourquoi pensez-vous qu'il est revenu? Pour vous? Comptez sur les conservateurs pour toujours mettre le doigt dans le glauque et l'inavoué du citoyen.

Vous êtes sous le choc de ce sondage qui nous annonce de grands changements, je vous comprends, nous allons probablement passer d'un gouvernement conservateur minoritaire à... un gouvernement conservateur minoritaire.

Je me passionne moins que vous pour la «game» politique, mais peut-être plus que vous pour la vie-mon-vieux. Voilà pourquoi, pour moi, l'événement de cette campagne électorale aura été le rejet de M. Ignatieff par les Canadiens.

Vous ne m'enlèverez pas de l'idée que dans ce rejet il y a tout le glauque, tout l'inavoué de la psyché canadienne. Et que c'est là une réalité qui nous interpelle infiniment plus que le succès amusant de Jack.

MARIAGE Quand je suis descendu pour pisser ce matin vers 6h, ma fiancée était devant la télé. Pis, fiancée, c'tu beau?

Très, très beau.

Aimerais-tu ça qu'on se marie aussi, mon amour? Les gens me demandent souvent: pis allez-vous finir par l'épouser, votre fiancée?

Si je te dis oui, me feras-tu duchesse de quelque chose?

Euh... duchesse de la Rivière-aux-Brochets qui passe un peu plus loin sur notre chemin, ça te plairait?

Cette même rivière qui déborde de partout, ces jours-ci et roule ses eaux boueuses sous le pont Zéphyr-Falcon à Bedford?

Celle-là même, mon amour. Savais-tu que du côté de Saint-Ignace, les lecteurs ne me croiront pas, mais ils peuvent vérifier la chose sur l'internet, savais-tu que cette Rivière-aux-Brochets a pour modeste affluent un ruisseau nommé le ruisseau Morpions?

Tais-toi.

Comme je remontais me coucher, il m'a semblé que la duchesse du ruisseau Morpions essuyait une larme en regardant la duchesse de Cambridge caracoler dans son carrosse d'or tiré par quatre chevaux blancs.