Patrick Chan a conservé son sourire jusqu'au bout du point de presse. Il a expliqué que sa vie ne se résumait pas aux Jeux olympiques, qu'il lui restait encore des dizaines d'années pour prouver qu'il pouvait aussi bien faire dans d'autres domaines. Et qu'en analyse finale, la qualité des liens avec sa famille et ses amis avait des effets plus durables qu'un programme de patinage réussi.

Comment ne pas applaudir la lucidité du grand champion? Mais en même temps, comment ne pas croire qu'au fond de lui-même, la peine était plus vive qu'en apparence?

Chan, médaillé d'argent à Sotchi, croyait en ses chances d'être dans le coup dans l'épreuve individuelle des Jeux de PyeongChang. Son nom, disait-il plus tôt cette semaine, méritait de faire partie «de la conversation» en évaluant les candidats au podium.

«Le triple axel est le dénominateur commun, avait-il ajouté. C'est mon plus grand défi depuis toujours. Avec le recul, je constate que je n'ai pas appris la bonne technique en grandissant. Mais je suis tellement déterminé à passer par-dessus ça et à bien le réussir cette fois-ci!»

Hélas, lors du programme court, la catastrophe redoutée s'est produite. Après un solide départ sur l'air de Dust in the Wind du groupe Kansas, Chan a lancé son triple axel, le moment clé de sa performance. S'il franchissait cette montagne, tout devenait possible. Mais une seconde plus tard, les fesses sur la patinoire, son rêve de médaille était sérieusement compromis.

Dans l'amphithéâtre, on a entendu un long «Aaahhh...» de déception, comme un ballon qui se dégonfle. Les dizaines de Canadiens présents, qui avaient brandi avec enthousiasme l'unifolié à son entrée sur la glace, ont saisi l'impact de cette chute. À ce niveau, une erreur pareille fait très mal.

- Que s'est-il produit, Patrick? lui a demandé une journaliste.

- Je pourrais te l'expliquer durant des heures...

Chan ne blaguait pas. Peu de patineurs ont autant réfléchi que lui au triple axel. Il a disséqué le mouvement afin d'en absorber les mystères. «J'ai une mine d'informations sur ce saut, a-t-il dit. Mais parfois, cela fait en sorte que le jour de la compétition, tu ne sais plus quels éléments prioriser...»

En attendant sa note, Chan a vu la reprise de sa chute à l'écran géant. Et il a compris son erreur. Ses bras sont allés vers l'avant trop vite par rapport à ses jambes. Pourquoi? Un manque de patience et de confiance, a-t-il expliqué. Résultat, le saut a manqué de hauteur et de vigueur.

Sixième au classement, avec un retard important de 14 points sur la troisième place, Chan ne se retrouve pas en situation favorable en prévision du programme long, qui sera présenté ce soir, heure du Québec.

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Chan entretient une relation tourmentée avec les Jeux olympiques. À Sotchi, en 2014, il rêvait d'accomplir ce que des patineurs canadiens doués comme Toller Cranston, Brian Orser, Kurt Browning et Elvis Stojko n'ont jamais accompli : monter sur la plus haute marche du podium.

Le jour du programme long, il pointait en deuxième place, mais les cartes n'étaient pas en sa faveur. Le Japonais Yuzuru Hanyu avait pris une solide avance dans le programme court. Mais, surprise, Hanyu a ouvert la porte à Chan en commettant des erreurs inattendues dans son programme long. Le Canadien n'en a pas profité, signant une performance en deçà de son niveau habituel.

Chan a ensuite pris une pause d'un an. Mais il a eu besoin d'encore plus longtemps pour se remettre du choc. Il s'était présenté à Sotchi en qualité de triple champion du monde. Ces Jeux devaient être les siens. Alors imaginez sa déception... Sa médaille d'argent lui a laissé un goût amer.

À PyeongChang, les chances que Chan lutte pour l'or étaient minces. Et les astres devaient s'aligner parfaitement pour qu'il monte sur le podium. Ce n'est pas le cas jusqu'à maintenant.

Quand on lui a demandé s'il était toujours dans la course malgré son programme court, Chan a laissé la question en suspens quelques secondes. Il a ensuite lancé: «Je tenterai de réaliser ma meilleure performance. Je me sens très bien, comme si j'étais à la maison, et j'ai l'impression de m'être approprié la patinoire comme ce ne fut jamais le cas à Sotchi. C'est un excellent feeling. Et j'ai déjà obtenu une médaille d'or dans le concours par équipe. Alors malgré mon erreur, il y a plusieurs excellentes choses pour moi ici.»

Superbe déclaration, certes, mais qui élude la question. Cela témoigne de la manière dont il évalue ses chances.

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Maintenant âgé de 27 ans, Chan a appris à placer les choses en perspective. Rien à voir avec le jeune homme choqué et déçu par les événements de Sotchi.

«Les cinq anneaux olympiques nous font croire qu'ils définiront le reste de notre vie, a-t-il dit. Mais la vérité, c'est qu'on a des performances sensationnelles et d'autres moins bonnes. C'est un environnement très dur. Une erreur, et on n'est plus un champion...»

Pour contrer les effets pernicieux du sport d'élite, Chan se rappelle que d'autres horizons s'offrent à lui. Cela ne l'empêchera pas de savourer au maximum sa dernière performance olympique lors du programme long et de s'accrocher à l'espoir d'un miracle. «À moi de me relever après une mauvaise journée. J'adore être sur la patinoire, j'adore réussir de beaux sauts...»

L'espoir d'une médaille est minuscule, mais Chan aura l'esprit en paix en amorçant son dernier tour de piste. Il quittera PyeongChang plus serein qu'à Sotchi. Et peu importe son résultat final, personne ne niera ceci: son extraordinaire palmarès international fait déjà de lui une légende du sport canadien.