En février dernier, les Islanders ont battu le Canadien 3-0 au Centre Bell. Après la rencontre, dans le vestiaire des New-Yorkais, un jeune homme était encore plus heureux que ses coéquipiers : Anthony Beauvillier.

Auteur du but initial du match et première étoile de la rencontre, le jeune Québécois vivait un moment fabuleux. «C'est spécial de gagner contre le Canadien à Brooklyn, mais c'est encore mieux à Montréal! a-t-il lancé. Tu joues au hockey pour des feelings comme ceux-là. C'est vraiment le fun!»

Beauvillier, un travailleur acharné sur la patinoire, est un ancien des Cataractes de Shawinigan. Il a joué son hockey junior dans la cour du CH. Mais au repêchage de 2015, ce sont les Islanders qui l'ont réclamé au premier tour, 28e choix au total. Le Canadien s'était exprimé peu avant, au 26e rang. Marc Bergevin et Trevor Timmins ont plutôt opté pour Noah Juulsen, un défenseur de l'Ouest canadien.

Dans quelques années, verrons-nous un autre Québécois ignoré par le CH conduire les siens à la victoire au Centre Bell? Peut-être. Samedi, le centre Antoine Morand a été sélectionné au 60e rang par les Ducks d'Anaheim. Quelques minutes plus tôt, avec ses 56e et 58e choix, le Canadien avait obtenu deux chances (pas une, deux!) de l'intégrer à son organisation. Mais il n'a pas saisi l'occasion, préférant le défenseur Josh Brook et le centre Joni Ikonen.

Peut-être que Juulsen, Brook et Ikonen atteindront la LNH et seront utiles au CH. Qui sait, l'un d'eux pourrait même devenir un joueur vedette payé plusieurs millions par saison. Mais on peut dire la même chose de Morand. Quant à Beauvillier, on sait déjà qu'il possède le talent et le caractère pour évoluer au plus haut niveau.

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Pour une deuxième saison de suite, le Canadien a boudé les joueurs québécois francophones au repêchage du week-end dernier. L'affaire a provoqué des réactions enflammées. Pourquoi une organisation qui, officiellement, dit comprendre la nécessité de faire confiance aux jeunes hockeyeurs d'ici remise-t-elle ce principe au fond d'un tiroir lorsque ça compte vraiment?

À l'évidence, le Canadien parle beaucoup mais agit peu. Et cela, au mépris de ses propres racines. C'est très bien de faire des échanges pour obtenir des gars comme Jonathan Drouin et Phillip Danault. Mais il faudrait montrer la même volonté au repêchage.

Bien sûr, on arguera que le nombre de véritables espoirs québécois était minimal. Après tout, à peine neuf d'entre eux ont été sélectionnés. Ce constat suscite une question clé : pourquoi notre hockey ne produit-il pas une relève de premier plan plus nombreuse? Vendredi, lors du seul premier tour, six Finlandais, quatre Suédois et... un seul Québécois ont été choisis!

Même si les spécialistes soutiennent que le prochain repêchage sera réconfortant pour le Québec, on doit s'interroger sur la manière dont notre hockey est enseigné. Dans une série d'articles publiés en décembre 2014, mon collègue Gabriel Béland a examiné les raisons derrière les succès de la Suède. Un sommet tenu 12 ans plus tôt a représenté un moment clé, a-t-il écrit. Le but était de «faire entrer le modèle suédois dans le développement du XXIe siècle».

Au moment où la paix revient dans notre hockey mineur, avec une entente entre les volets civil et scolaire, il serait utile d'envisager un exercice semblable au Québec. 

Le ministre de l'Éducation, du Loisir et du Sport, Sébastien Proulx, pourrait en prendre l'initiative. On l'a vu ces derniers jours dans le secteur de l'éducation : il ne craint pas de proposer des politiques dotées d'objectifs ambitieux. C'est ce dont notre hockey a besoin.

Bien sûr, d'autres facteurs ont un impact sur le nombre de joueurs du Québec dans la LNH. Le sport s'est internationalisé à une vitesse accélérée depuis 20 ans. Au point où un Suisse, Nico Hischier, a été sélectionné au tout premier rang par les Devils du New Jersey, vendredi dernier. La concurrence vient aujourd'hui de nombreux pays.

Le Québec s'est aussi ouvert à de nouveaux sports. Des milliers de jeunes athlètes doué(e)s choisissent une autre discipline que le hockey, ce qui est une excellente chose. Il n'en reste pas moins qu'une réflexion en profondeur sur le développement du hockey masculin et féminin au Québec serait un exercice bienvenu.

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Les ennuis de notre hockey n'excusent en rien le Canadien. Si le bassin de joueurs prometteurs québécois est mince, ça devrait être une raison de plus pour mettre la main sur ceux qui sont disponibles. Et non pas une raison pour ne pas en sélectionner.

Marc Bergevin répète souvent combien le repêchage est une science inexacte, et à quel point il est difficile de projeter où un joueur de 17 ou 18 ans en sera dans quelques années. C'est vrai. Mais alors comment le Canadien peut-il être si sûr que Beauvillier connaîtra une moins bonne carrière que Juulsen? Ou Morand que Brook ou Ikonen? À talent égal, l'organisation a longtemps privilégié les francophones. Est-ce toujours le cas?

Oui, il est arrivé que le CH se trompe en choisissant des joueurs québécois. Mais c'est aussi arrivé avec des Américains et des Canadiens d'autres régions du pays. Ce n'est pas une raison pour arrêter d'en sélectionner!

Si le Canadien était un monument de succès au repêchage, peut-être que la situation passerait mieux. On se dirait que l'organisation étant une des meilleures de la LNH pour repérer le jeune talent, elle mérite notre confiance. Or, nous savons tous que ce n'est pas le cas. Les récents textes de mes collègues Mathias Brunet et Marc Antoine Godin, qui ont examiné avec soin les résultats du CH au cours des dernières années, démontrent plutôt ses immenses lacunes.

À Chicago samedi, Timmins a laissé entendre aux journalistes que Bergevin avait «vraiment essayé» d'améliorer son rang de sélection au deuxième tour afin de choisir un francophone. Entre vous et moi, ça veut dire quoi, au juste, «vraiment essayé»? C'est tellement plus facile d'inviter quelques Québécois non repêchés au camp de perfectionnement estival.