Gary Bettman ferait un formidable président du Sénat de l'Arizona. Et un exceptionnel maire de Calgary. De son bureau de New York, le commissaire de la LNH connaît mieux que les élus locaux la manière de dynamiser leur économie.

Généreux jusqu'au fond des tripes, Bettman dispense ses bons conseils en s'appuyant sur un principe simple : investissez avec joie et sérénité des dizaines de millions en fonds publics dans un nouvel amphithéâtre à l'intention de votre équipe de la LNH. Vous verrez, les retombées seront aussi spectaculaires qu'une montée à l'emporte-pièce de Patrik Laine ou un tir sur réception d'Alexander Ovechkin.

Bettman a attaché le grelot le 7 mars en expédiant une lettre aux deux principaux législateurs de l'État de l'Arizona. Il leur a demandé d'appuyer un projet de loi qui, au bout du compte, obligerait les contribuables à assumer plus de la moitié de la facture d'un nouvel édifice pour les Coyotes, soit 225 millions US.

Puis, en visite en Alberta cette semaine, Bettman a incité le maire de Calgary à agir vite pour doter les Flames d'un nouvel amphithéâtre. Il a joué la carte de la rivalité avec Edmonton, où la Rogers Place a ouvert ses portes cette saison.

Qu'un commissaire d'une ligue professionnelle milite pour des projets semblables est tout à fait normal. Cela fait partie de sa description de tâches. Ses homologues des autres sports n'agissent pas différemment.

Ce qui est choquant, c'est le refus de Bettman d'énoncer avec transparence les véritables raisons pour lesquelles il souhaite ces nouveaux équipements : augmenter les revenus de la LNH en pelletant sur le dos des citoyens une partie des investissements nécessaires à l'atteinte de cet objectif. Il faut à tout prix minimiser le risque économique des équipes.

Tout serait tellement plus limpide s'il l'avouait franchement.

***

Le dossier des Coyotes de l'Arizona est renversant. L'équipe évolue dans un amphithéâtre moderne inauguré en 2003 à Glendale, en banlieue de Phoenix. Bettman s'est battu bec et ongles pour y assurer son maintien, assurant que le succès serait au rendez-vous. Aujourd'hui, changement de cap : les Coyotes ne demeureront pas à Glendale. Dans sa lettre, le commissaire convient que l'organisation subit une « perte économique constante ».

Quand on sait à quel point Bettman aime rappeler que la LNH n'a jamais été aussi solide, que ses concessions n'ont jamais été aussi fortes, cet aveu illustre le sérieux de la situation. Les choses vont sûrement très mal là-bas. Mais puisqu'il refuse d'abandonner le marché de l'Arizona, le commissaire exige l'aide des contribuables pour sauver une nouvelle fois les Coyotes.

Bien sûr, Bettman ne présente pas les choses ainsi. Il évoque plutôt un projet générateur de formidables retombées économiques pour la communauté, ce qui permettra, écrit-il, « de financer des priorités de l'Arizona comme l'éducation et la sécurité publique ». Avouons qu'il ne faut pas être gêné !

En fait, Bettman demande aux élus d'appuyer un coup de poker. L'histoire de la LNH en Arizona se traduit en effet par un mot : échec. Il est loin d'être certain qu'un amphithéâtre situé ailleurs dans la région augmenterait l'intérêt des citoyens.

L'ex-mairesse de Glendale, Elaine Scruggs, l'a bien expliqué dans sa réponse musclée à Bettman. Elle taille en brèche l'argument selon lequel les problèmes des Coyotes sont dus à l'emplacement de leur amphithéâtre. Elle rappelle que l'organisation dépense peu pour ses joueurs, préfère « bâtir pour l'avenir » saison après saison et dépense des miettes en marketing. « Je dirai ce qu'ils ne disent pas : la dernière place au classement des Coyotes est un problème de leadership, pas d'emplacement [de l'aréna] », ajoute-t-elle.

À Calgary aussi, Bettman aurait pu expliquer franchement pourquoi les Flames ont besoin d'un amphithéâtre neuf. Selon un article de TSN.ca, il a plutôt évoqué le confort des amateurs. « En matière de services aux fans, et c'est la chose la plus importante, [l'édifice] ne tient pas la route par rapport à ce qui se fait dans les amphithéâtres neufs. »

Et Bettman d'ajouter qu'investir des fonds publics dans un nouvel aréna pour les Flames, c'est investir « dans la qualité de vie ». C'est presque de la poésie...

***

Les dossiers des Coyotes et des Flames sont bien différents. Le hockey est populaire à Calgary et on peut croire qu'un nouvel amphithéâtre, s'il est financé de manière socialement acceptable, sera un succès. Et si la ville pose sa candidature à l'obtention des Jeux olympiques d'hiver de 2026, une possibilité à l'étude, ce nouvel équipement sera un atout.

En Arizona, les résultats positifs sont beaucoup moins sûrs. Et on comprend les législateurs d'hésiter avant de donner leur accord. Le problème, c'est qu'ils ont une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête.

Les ligues professionnelles profitent du fait qu'elles ont le gros bout du bâton dans leurs négociations avec les administrations publiques.

Dans la NFL, les élus de St. Louis n'ont pas répondu aux attentes des dirigeants des Rams qui souhaitaient un nouveau stade. À San Diego, les électeurs ont rejeté de nouvelles taxes pour donner un domicile moderne aux Chargers. Résultat, les deux équipes ont déménagé à Los Angeles.

Dans le passé, Bettman a gagné en mettant de la pression sur les élus. Ce fut le cas en Arizona et en Floride. Le fait que le splendide Centre Vidéotron attende une équipe à Québec, et que Seattle jongle avec divers scénarios pour répondre aux attentes de la NBA et la LNH, sert aussi magnifiquement ses intérêts.

Si les ligues sont si arrogantes dans leurs démêlés avec les élus, c'est qu'elles savent une chose : à ce jeu-là, elles ne perdent jamais. Bettman en est parfaitement conscient.

Note : Les lettres de Gary Bettman et Elaine Scruggs ont été publiées sur azcentral.com.