Les images donnent froid dans le dos. La tête baissée, le défenseur Philip Larsen, des Canucks de Vancouver, ne voit pas l'attaquant Taylor Hall, des Devils du New Jersey, foncer vers lui à la manière d'un TGV. La collision est brutale. Larsen est projeté sur la glace, où il s'écrase comme une poche de vieux linge qu'on aurait lancée à bout de bras.

Le corps inanimé de Larsen gît sur la patinoire. Il est en situation de détresse. La scène, déjà terrible, prend alors une tournure inimaginable. Les joueurs des Canucks veulent venger leur coéquipier et ceux des Devils entendent protéger le leur. Une mêlée survient, dans le plus pur respect du «code», ces règles non écrites du hockey qui, trop souvent, justifient les pires insignifiances.

Dans cette tourmente, Larsen est touché à la tête par le patin d'un coéquipier. Plusieurs joueurs se tiraillent autour de lui, avec des bâtons de hockey et des jambes qui virevoltent autour de son corps, semblant parfois l'atteindre.

Cet épisode sombre est survenu mardi soir au New Jersey. Il rappelle combien il faudra encore du travail pour sensibiliser les joueurs aux dangers des blessures à la tête.

Après l'assaut sur Larsen, la véritable solidarité n'était pas d'aller venger sur-le-champ son honneur. Mais plutôt de s'assurer du respect de son intégrité physique en attendant l'arrivée du soigneur. Lui-même était incapable de se protéger.

Mais le «code» a été plus fort que la raison. Dans la LNH, défendre un coéquipier, peu importe les circonstances, est une pratique admirée.

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Je repensais à cette triste affaire, hier, en lisant les propos d'Eric Lindros lors du récent symposium sur les commotions cérébrales, tenu à l'initiative de David Johnston, gouverneur général du Canada.

«La culture doit changer. Moi, je ne m'attends pas à de grands changements dans le sport professionnel. Commençons par les enfants et montons. Instruisons-les sur les dangers des commotions», a dit Lindros, cité par mon collègue Gabriel Béland.

Lindros a tort et raison. Il se trompe en disant que le sport professionnel ne fait pas de changements. Après avoir refusé de confronter sérieusement l'enjeu des commotions cérébrales, la LNH a adopté des mesures significatives cette saison. L'embauche d'observateurs ayant le pouvoir d'envoyer un joueur subir un test durant un match est une véritable révolution. Tous les gens avec un brin de sens commun réclamaient une mesure semblable depuis longtemps.

Mais Lindros a raison d'affirmer qu'un problème important de culture persiste. L'affaire Connor McDavid en fait la preuve.

Dimanche dernier, le jeune prodige des Oilers d'Edmonton s'est cogné le bas du visage contre la patinoire en perdant pied lors d'un match contre le Wild du Minnesota. Il a été envoyé à l'examen par un observateur. La décision l'a ulcéré, puisqu'il a ainsi raté plusieurs secondes en avantage numérique. De plus, le résultat des analyses a démontré qu'il ne souffrait pas de commotion cérébrale. Cela a confirmé sa propre conclusion : il avait ressenti une simple douleur à la bouche.

«Évidemment, l'observateur pensait savoir comment je me sentais», a dit McDavid, ironique, au Edmonton Journal. Il a ajouté : «Ils sont là pour veiller à notre santé et il faut respecter cela. Mais en même temps, ils doivent respecter l'allure du match, ce qui se passe dans le match.»

Eh bien, non! L'idée de faire appel à des observateurs indépendants sert à privilégier la santé, peu importe le score ou le rythme d'une rencontre. Qu'un jeune joueur comme McDavid ne le réalise pas est inquiétant.

Le débat à propos des commotions cérébrales fait la manchette depuis cinq ans. Celles subies par Sidney Crosby ont eu l'effet d'un détonateur sur la conscience des fans. McDavid a grandi dans cet environnement. Qu'il défende la thèse des joueurs et des dirigeants plus conservateurs, qui ont toujours peine à reconnaître le sérieux du problème, valide malheureusement l'opinion de Lindros.

Dans un monde idéal, McDavid aurait dit : «Je n'ai pas aimé être retiré du jeu. Mais la LNH et l'Association des joueurs ont eu raison d'implanter cette mesure. Cela démontre que notre santé est une priorité. J'ai à peine 19 ans. J'amorce ma carrière professionnelle. Grâce à cette initiative, je jouerai peut-être 20 ans dans le circuit. Et je n'aurai pas à cacher une éventuelle blessure à la tête comme des dizaines de joueurs l'ont fait dans le passé. Et je n'aurai pas à poursuivre la LNH quand j'aurai 50 ans comme tant d'autres le font actuellement. Tous ces avantages compensent bien une absence d'une vingtaine de minutes, le temps de subir un test durant un match.»

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La possibilité qu'un athlète professionnel s'exprime ainsi vous semble farfelue? Alors laissez-moi vous raconter une histoire. En octobre dernier, dans la NFL, les Buccaneers de Tampa Bay et les Panthers de la Caroline étaient à égalité 14-14 au quatrième quart.

Un observateur a alors retiré du match le centre des Buccaneers, Joe Hawley, après un contact laissant croire à une commotion cérébrale. Les tests ont été négatifs et Hawley est revenu après avoir raté plusieurs jeux cruciaux.

Dans une entrevue à Tampabay.com, Hawley a dit : «Ils ont appliqué le protocole parce que j'ai mis du temps à me relever. Je suis content qu'ils l'aient fait. C'est la première fois que je vois ça. Ça veut dire qu'ils pensent à nous.»

Si McDavid s'était exprimé de cette manière après le match de dimanche, il aurait appuyé de toute son autorité morale, celle d'une immense vedette du circuit, la nouvelle mesure de la LNH pour protéger ses joueurs. Il a plutôt choisi d'émettre des doutes sur la manière dont la politique est appliquée.

Le «code», encore une fois, a triomphé de la raison.

Photo Ed Mulholland, USA TODAY Sports

Philip Larsen (63) a été terrassé par une mise en échec de Taylor Hall (9), mardi soir au New Jersey.