On savait tous que Gary Bettman était un gestionnaire redoutable doublé d'un politicien rusé. Mais qui l'aurait cru doté d'une imagination pareille ? Pour organiser un tournoi international de hockey à son goût, il crée essentiellement deux nouveaux « pays » de hockey, comme ces chefs d'État qui redessinaient la carte de l'Europe après les grands conflits des siècles passés.

Voici donc Équipe Europe, qui regroupe les joueurs européens issus de pays où le hockey demeure un sport de moindre envergure. Et Équipe Amérique du Nord, qui accueille en ses rangs les meilleurs joueurs canadiens et américains de 23 ans et moins.

Le commissaire de la LNH n'est pas homme à s'enfarger dans les fleurs du tapis. Il voulait un tournoi à huit équipes, où les joueurs de son circuit occuperaient toute la place ou presque. Pas de problème pour le Canada, les États-Unis, la Russie, la République tchèque, la Finlande et la Suède, dont les vedettes évoluent dans la LNH. Mais il n'avait sûrement pas envie de voir débarquer à Toronto une formation suisse, slovaque ou biélorusse alignant plusieurs joueurs inconnus du grand public.

Alors, s'agit-il d'une véritable Coupe du monde ? Bien sûr que non ! Si c'était le cas, un des meilleurs joueurs canadiens, Connor McDavid, le prodige des Oilers d'Edmonton, s'alignerait avec le Canada et non pas pour une équipe créée de toutes pièces par la LNH. De la même façon, Jake Eichel et Auston Matthews porteraient les couleurs américaines. La notion de pays serait respectée au lieu d'être ajustée aux impératifs économiques du circuit.

Regardons les choses en face : ce tournoi est d'abord et avant tout une opération marketing dotée de trois objectifs.

Le premier : garnir les coffres de la LNH et de l'Association des joueurs (elles sont partenaires à parts égales dans ce projet) en misant sur l'enthousiasme du public canadien, le seul assez passionné de hockey pour soutenir à coups de millions une initiative pareille.

Le deuxième : mettre en valeur les joueurs du circuit, notamment les vedettes de demain, afin d'augmenter leur notoriété et de raffermir la place de la LNH sur l'échiquier sportif nord-américain.

Le troisième : démontrer au Comité international olympique (CIO) et à la Fédération internationale de hockey sur glace (FIHG) que la LNH n'a pas besoin d'eux pour faire mousser son développement international. Cela augmente le rapport de force de Bettman dans ses discussions avec ces deux organismes concernant la participation des joueurs du circuit aux Jeux d'hiver de 2018.

Le plan fonctionnera-t-il ? Sur le plan financier, je n'en ai aucun doute. 

Aux yeux de la LNH, le cours du huard interdit le retour des Nordiques à Québec. Mais il n'empêche cependant pas que la soi-disant « Coupe du monde » soit entièrement tenue à Toronto. 

Cela nous rappelle que la LNH trouve bien des atouts au Canada... lorsque cela sert ses intérêts mercantiles !

Car il ne faut pas s'y tromper : ce tournoi sera un succès parce que les Canadiens s'y intéresseront. Dans la Ville Reine, l'appui des entreprises est garanti, tant pour la vente des billets que pour les ententes promotionnelles. Et d'un océan à l'autre, nous serons nombreux à regarder les matchs à la télé. C'est aussi au pays que les ventes de produits dérivés seront les plus élevées.

L'histoire sera différente aux États-Unis. Bien sûr, les passionnés de hockey suivront le tournoi. La multiplication des sources d'information sur le web fera en sorte que beaucoup de lignes seront écrites sur la compétition au sud de la frontière.

Cela dit, en septembre, les amateurs américains s'intéressent d'abord au football collégial, à la NFL et à la dernière ligne droite de la saison du baseball majeur. Le hockey vient très loin derrière. Et la tenue de la Coupe du monde n'y changera rien. En ce sens, il s'agit d'une occasion ratée pour la LNH. Le pays où elle souhaite le plus se distinguer suivra d'un oeil distrait la compétition, même si les meilleurs matchs seront disputés aux heures de grande écoute.

Au bout du compte, le tournoi plaira à tous les mordus de hockey, peu importe leur pays d'origine. Mais il ne fera pas de nouveaux convertis.

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L'équipe des 23 ans et moins sera assurément la formation chouchoute du tournoi. Avec raison, tous les amateurs ont hâte de voir le club des jeunes se colletailler avec des rivaux plus aguerris.

Pour l'occasion, Hockey Canada a donc accepté que des joueurs canadiens de renom endossent un autre uniforme que celui du Canada dans un tournoi international.

Ce phénomène soulève une question intéressante : les dirigeants de Hockey Canada feraient-ils preuve de la même ouverture d'esprit envers l'éventuelle création d'une Équipe Québec ? 

Car si on accepte que de jeunes Canadiens soient des adversaires de l'équipe nationale, pourrait-on s'opposer à ce qu'un club entièrement composé de Québécois se retrouve un jour dans cette même situation ?

Qu'on le veuille ou non, un certain précédent vient d'être créé. La notion que tous les joueurs canadiens doivent absolument jouer pour le Canada dans un tournoi de ce type a été balayée, et cela sans que Hockey Canada s'y oppose.

Il y a là matière à réflexion.

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Malgré mes réserves, je suivrai le tournoi qui s'amorce aujourd'hui avec intérêt. D'une part, plusieurs matchs s'annoncent formidables. Et de l'autre, le rendement de Carey Price, de Shea Weber et de Max Pacioretty nous aidera à mieux évaluer les chances du Canadien au cours de la prochaine saison.

En revanche, il ne faudrait pas que l'éventuel succès de cette Coupe du monde incite les dirigeants de la LNH à faire l'impasse sur les Jeux olympiques de 2018. Ce rendez-vous est devenu la référence en hockey international. Empêcher les joueurs de la LNH d'y participer démontrerait à quel point seul l'argent préside aujourd'hui aux décisions du circuit, au détriment de l'aspect sportif.

Heureusement, les joueurs tiennent aux Jeux olympiques. Les dirigeants e la LNH devront en tenir compte dans leur réflexion.

En attendant une décision définitive, bonne Coupe du marketing à tous !