À Rio, où je débarquerai ce matin, je couvrirai mes sixièmes Jeux olympiques. Le souvenir de ces expériences inoubliables me fait croire une chose: durant la prochaine quinzaine, il arrivera sans doute ce moment où la joie d'un athlète québécois gagnant une médaille, ou la fierté de ses parents témoins de l'évènement, me remplira d'émotion. Tout en consignant leurs propos dans mon calepin de notes, j'essaierai d'un geste furtif d'écraser une larme.

J'ai vécu cette expérience pour la première fois à Barcelone, en 1992. Le marcheur Guillaume Leblanc venait de remporter l'argent au 20 kilomètres quand j'ai retrouvé ses parents à l'ombre du Stade olympique. Assis sur un banc d'autobus, ils attendaient patiemment leur fils. Plus tôt dans la journée, après l'avoir encouragé dans les rues avoisinantes où les 18 premiers kilomètres étaient tenus, ils avaient foncé dans un café pour suivre la fin de l'épreuve à la télé. «On a vu Guillaume entrer dans le stade, me raconta sa mère. Un Espagnol nous a confirmé qu'il était toujours deuxième. Je suis partie à pleurer...»

J'ai discuté avec eux un bon moment, leurs sourires étaient si beaux à voir. Comme celui d'Annie Pelletier quatre ans plus tard à Atlanta. Imaginez: après avoir traversé de justesse l'étape des qualifications, elle obtint le 12et dernier billet d'entrée dans la ronde des médailles. Ses performances n'annonçaient pas un podium. Mais elle se reprit avec panache et remporta le bronze au plongeon de 3 mètres. Plus tard, brandissant sa récompense avec fierté, elle lança: «On dirait qu'elle est en or, vous ne trouvez pas?»

Des moments forts comme ceux-là se sont aussi produits à Londres en 2012, quand j'ai aperçu les plongeuses Meaghan Benfeito et Roseline Filion courir embrasser leurs parents après avoir décroché le bronze en plongeon synchronisé.

Ces retrouvailles, dans une zone de services derrière le Centre aquatique, demeureront toujours gravées dans ma mémoire. Un moment de bonheur absolu.

L'extraordinaire récit de Mélodie Daoust à Sotchi, peu avant le début du tournoi de hockey féminin des Jeux d'hiver de 2014, est aussi au tableau de mes grands moments olympiques. Elle m'a raconté l'improbable cheminement lui ayant valu une place au sein de l'équipe, elle qu'on ne jugeait pas assez rapide pour jouer à ce niveau. Elle est rentrée à Montréal une médaille d'or au cou...

Les Jeux, ce sont aussi des moments plus pénibles, bien sûr. Comment oublier ce mélange de douleur et de colère de Jean-Luc Brassard peu après l'ouverture de ceux de Nagano en 1998, où il était porte-drapeau de la délégation canadienne? Sa sélection avait pris des proportions énormes. «À entendre les gens, j'ai eu l'impression d'avoir été élu empereur», lança Jean-Luc, qui possédait déjà le sens de la formule.

Cette attention excessive avait nui à sa préparation, d'autant plus que sa compétition commençait dès le début des Jeux. Il ne répéta pas son exploit de Lillehammer, quatre ans plus tôt, où il fut sacré champion de ski de bosses. «J'aurais dû refuser d'être porte-drapeau...», admit-il avec regret.

Aux Jeux, l'émotion et la tension sont toujours au rendez-vous. Souvent pour le mieux, mais pas toujours.

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Les Jeux de Rio seront-ils une réussite? Pour que la réponse soit oui, le comité organisateur devra relever deux défis: assurer un environnement sécuritaire et proposer un système de transport efficace. C'est largement sur ces deux enjeux que leur travail sera évalué.

Dans le monde d'aujourd'hui, toutes les grandes compétitions sportives doivent consacrer des énergies énormes au dossier de la sécurité. Mais Rio fait face à un défi supplémentaire, celui de la criminalité dans la vie de tous les jours.

On verra si les 85 000 représentants de l'ordre déployés pour l'occasion seront suffisants pour que tous les visiteurs vivent une expérience agréable.

Les milliers d'athlètes, journalistes et touristes doivent aussi se déplacer avec facilité et dans des délais raisonnables. Sinon, la réputation des Jeux en souffre beaucoup.

Ainsi, à Atlanta en 1996, on s'attendait à ce que l'efficace machine américaine offre un service de premier niveau. Ce fut tout le contraire. Des chauffeurs de «navettes olympiques» étaient venus des quatre coins des États-Unis pour donner un coup de main. L'ennui, c'est que plusieurs d'entre eux ne connaissaient pas la ville. Un jour, l'une d'elles, apprenant que je venais de Montréal, ne cacha pas sa déception: «Vous ne pourrez pas m'aider si je me perds...» (Message aux plus jeunes lecteurs: c'était avant l'époque des GPS...)

Les journalistes avaient surnommé Atlanta «Sardine City», parce que tout le monde était coincé dans d'énormes embouteillages. À Rio, les défis de la circulation sont déjà nombreux. Une ligne de métro essentielle au bon fonctionnement des opérations a été mise en service... le week-end dernier! Durant les Jeux, seules les personnes accréditées ou détenant un billet pour assister à une compétition pourront l'emprunter. On verra comment tout cela tournera.

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La cérémonie d'ouverture aura lieu ce soir. On chantera la paix et la fraternité. Mais cela ne fera pas oublier que les Jeux de Rio sont tenus dans un pays plongé dans une crise politique grave et aux prises avec d'énormes difficultés économiques et sociales. Ils sont organisés par le Comité international olympique, lui-même embourbé dans l'immense scandale du dopage russe. Pour un si grand rendez-vous, cette toile de fond est unique.

Espérons que les athlètes intègres, avec des performances inspirantes, sauvent le spectacle et nous fassent oublier un moment les mauvaises nouvelles des derniers mois. Je suis de nouveau prêt à écraser une larme ou deux.