Toute la suffisance de certains princes du sport international et leur incompréhension face aux principes modernes de gouvernance sont incarnées dans la réaction de Gian Franco Kasper aux propos de Régis Labeaume la semaine dernière.

Rappelez-vous: pour justifier sa décision de ne pas entrer dans la course aux Jeux d'hiver de 2026, le maire de Québec a dénoncé la participation de M. Kasper, et celle de René Fasel, à l'élaboration d'une candidature suisse.

Ces deux citoyens helvétiques comptent parmi les plus influents décideurs du mouvement olympique. Ils dirigent les fédérations internationales de ski (Kasper) et de hockey sur glace (Fasel). Dans ce contexte, Québec pouvait-il espérer un processus impartial?

En entrevue à Radio-Canada, M. Kasper s'est dit outré que M. Labeaume soulève cet enjeu. Il est vrai que les princes sont rarement mis sur la sellette. Ils sont plus habitués aux courbettes des nombreuses personnes voulant leur arracher des faveurs.

Que M. Kasper ne saisisse pas le caractère intolérable de sa position est ahurissant. N'a-t-il jamais appris qu'un conflit d'intérêts, apparent ou réel, mine la confiance du public dans les institutions ?

Ne comprend-il pas qu'à l'image de son collègue Fasel, il jette une ombre inquiétante sur le processus de sélection en mettant tout son poids, et ultimement son imposant réseau de relations, derrière le projet helvétique?

M. Labeaume lui a rappelé sans ménagement ces vérités. Le prince a beau crier sa colère, cela ne change rien aux faits. «Pour ces gens-là, il y a des choses normales qui ne le sont pas pour nous, a dit le maire de Québec, en annonçant sa décision. Pour moi, cette gouvernance n'est pas normale. On n'est pas habitués à ça, on ne fonctionne pas de même.»

Pour obtenir les Jeux de 2026, Québec aurait présenté une «offre révolutionnaire» sur le plan financier, a soutenu M. Labeaume. Dans les circonstances, il ne croyait pas le Comité international olympique (CIO) capable de montrer «l'ouverture d'esprit» nécessaire.

«Changer la culture d'une organisation ne se fait pas du jour au lendemain, a-t-il ajouté. Thomas Bach est là depuis trois ans, il a la bonne formule [avec l'Agenda 2020]. Mais il y a du monde là-dedans qui sont là depuis très, très longtemps, il y a des gens indélogeables aussi...»

MM. Kasper et Fasel sont du groupe. Le premier dirige la Fédération de ski depuis 18 ans; le second, la Fédération de hockey depuis 22 ans! Et dans quelques jours, il obtiendra un nouveau mandat de quatre ans.

Cette longévité est inacceptable, car elle affaiblit les nécessaires contrepoids à l'exercice du pouvoir. Le CIO et la Fédération internationale de soccer (FIFA) l'ont compris. Ainsi, après un premier mandat de huit ans, Thomas Bach pourra en obtenir un seul autre de quatre ans avant de céder sa place.

La FIFA, elle, limite depuis cette année son président à trois mandats de quatre ans. Les instances des deux plus importantes autorités sportives internationales ont donc jugé, avec raison, qu'un séjour de 12 ans à la tête d'un organisme aux si vastes pouvoirs est suffisant.

Décidément, un cours de gouvernance 101 ferait le plus grand bien à quelques gros bonnets du sport international. Notamment à M. Fasel qui, dans une récente entrevue au site spécialisé Inside The Games, a déclaré à propos du mot «gouvernance»: «Il est utilisé beaucoup et personne ne sait exactement ce que ça signifie».

Voilà une analyse bien commode! D'autant plus que M. Fasel, comme le rappelle l'article en question, a été réprimandé par la Commission d'éthique du CIO en 2010. Il avait aidé une firme dirigée par un de ses amis à obtenir un contrat d'une société partenaire d'affaires de sa fédération.

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Photo Mark Humphrey, archives Associated Press

René Fasel, président de la Fédération internationale de hockey sur glace

Michel Platini est un autre qui ne comprend pas.

Lundi, dans une décision unanime, le Tribunal arbitral du sport (TAS) a rejeté ses explications pour justifier le paiement de 2 millions de francs suisses (2,6 millions CAN) qu'il a reçu de la FIFA en 2011, des années après l'expiration de son contrat d'embauche.

L'ancien grand joueur français, qui a longtemps rêvé de succéder à Sepp Blatter à la présidence de la FIFA, crie à l'injustice.

Lors de la divulgation de l'affaire, l'an dernier, Platini avait expliqué que cette somme était «un arriéré de salaire», résultat d'une entente verbale avec Blatter. Le fait qu'il ait touché ce pactole quatre mois avant une élection à la présidence de la FIFA, où il a soutenu Blatter, a suscité beaucoup de questions.

Le TAS n'a pas été convaincu de la «légitimité» de ce paiement, «intervenu plus de huit ans après la cessation des rapports de travail » et « ne reposant sur aucun document établi à l'époque des relations contractuelles». Et même si sa suspension a été réduite de six à quatre ans, cela ne change rien au fond. L'ancien numéro 10 est hors jeu.

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Qui obtiendra les Jeux d'hiver de 2026? Québec refusant l'aventure, une éventuelle candidature suisse part favorite. Encore faudra-t-il que la région qui portera les espoirs helvétiques remporte la redoutable épreuve du référendum, récif sur lequel s'est brisé le plan de Davos/Saint-Moritz en vue des Jeux de 2022.

Pour le CIO, le problème des Jeux d'hiver demeure donc entier. L'organisme doit poursuivre son introspection. L'attitude ferme de M. Labeaume pourrait être aussi déterminante que celle du gouvernement norvégien qui, en octobre 2014, a refusé de soutenir la candidature d'Oslo aux Jeux de 2022 en raison des coûts et de l'arrogance du mouvement olympique.

Cette courageuse décision a incité Thomas Bach à poursuivre ses réformes. La forte prise de position du maire de Québec lui rappellera que le travail, bien commencé, est loin d'être terminé.

Photo Fabrice Coffrini, archives AFP

Michel Platini, ancien président de l’UEFA