Les raisons de s'éloigner de la Formule 1 sont nombreuses: le pouvoir absolu de Bernie Ecclestone, l'argent érigé en valeur suprême, l'élitisme qui limite aux jeunes fortunés l'occasion d'obtenir un volant... Tenez, un Gilles Villeneuve du XXIe siècle, issu d'un milieu modeste, n'aurait aucune chance d'atteindre son rêve.

Ce n'est pas tout: le spectacle en piste est décevant, comme le reconnaît Ecclestone. Il a qualifié la dernière saison d'«ennuyeuse» en raison de la domination de l'écurie Mercedes, qui a remporté 16 des 19 courses du calendrier.

Malgré ces côtés sombres, l'intérêt pour la Formule 1, moins prononcé dans mon cas qu'il y a 20 ans, tient bon. Après tout, les exploits de champions comme Ayrton Senna et Michael Schumacher font partie de la légende... tout comme ceux de Michel Vaillant, le héros des bandes dessinées!

L'héritage des Villeneuve père et fils fait aussi partie de l'équation. Gilles a été un authentique héros. Et Jacques, champion du monde en 1997, a longtemps été le sportif le plus populaire du Québec.

Le Grand Prix du Canada, avec ses retombées économiques majeures, est aussi un actif pour Montréal. Voilà pourquoi les pouvoirs publics versent en moyenne 18,7 millions par année pour assurer son maintien jusqu'en 2024.

Hélas, l'état de santé du Grand Prix demeure préoccupant. Longtemps, le feuilleton du renouvellement du contrat avec Bernie Ecclestone a fait les manchettes.

Et mardi, notre journaliste Vincent Brousseau-Pouliot a dévoilé à quel point les finances du promoteur, le Groupe de course Octane de François Dumontier, étaient serrées. Au point où des fournisseurs demeurent en attente de paiement complet six mois après le dernier Grand Prix.

***

Lundi, Vincent et moi avons rencontré Dumontier. Ce fut un entretien captivant. Non seulement ce dernier s'est montré transparent en confirmant les informations de mon collègue, mais aussi il a dressé un portrait éclairant de son industrie.

De cette heure de discussion, une conclusion s'impose: la Formule 1 fait face à des défis redoutables. L'exemple du Grand Prix des États-Unis, à Austin, au Texas, en fournit une preuve. Avec cette piste de 400 millions US inaugurée en 2012, on croyait qu'Ecclestone avait enfin trouvé une solution permanente à son «problème américain».

Mais en octobre dernier, le week-end de course a été gâché par des pluies diluviennes, qui ont forcé le report de la séance de qualifications. Et le dimanche, le départ a été donné devant des milliers de bancs vides.

«Résultat, les ventes de nourriture, de boissons et de souvenirs ont été très faibles, explique Dumontier. Et peu de gens ont acheté un billet le jour de la course.»

L'État du Texas a aussi annoncé une réduction de 20% de sa subvention annuelle. Du coup, l'avenir de l'épreuve est remis en question.

Sans coussin pour affronter ces imprévus, un promoteur se retrouve vite coincé. Les tarifs exorbitants exigés par Ecclestone pour présenter une course laissent peu de marge de manoeuvre aux organisateurs. Cette voracité complique aussi la tâche de Dumontier.

Ainsi, on dit souvent qu'à 18,7 millions par année, le Grand Prix est bon marché par rapport au prix versé par d'autres villes. Mais attention: cette somme est déboursée par les autorités publiques. En vertu de sa propre entente avec Ecclestone, Dumontier ajoute au moins 5 millions à cette somme. Cela représente une proportion significative de son chiffre d'affaires.

Pourtant, dites-vous, les tribunes sont remplies au circuit Gilles-Villeneuve. De nouveau, prudence! Les installations étant amovibles, Dumontier n'en érige que le nombre nécessaire.

«C'est un gros travail à chaque année, mais j'ai un avantage: je monte les gradins en fonction du nombre de places vendues. Certains pays ont construit des stades magnifiques, comme la Chine, mais des milliers de sièges sont couverts par des toiles.»

Aujourd'hui, 54% du public vient de l'extérieur du Québec. Pour susciter un nouvel engouement localement, Dumontier espère que Lance Stroll, un pilote québécois, atteigne la Formule 1 en 2017.

Cela augmenterait l'intérêt, surtout si la Formule 1 améliore le spectacle en piste et quitte l'âge de pierre sur le plan du marketing, deux nécessités absolues.

Comme bien d'autres, Dumontier a été ébranlé par une affirmation d'Ecclestone, l'automne dernier. Il a dit préférer un client de 70 ans aux poches pleines à un jeune de 15 ans incapable de s'offrir les produits de luxe vendus par ses partenaires. Cette déclaration est survenue au moment où le Grand Prix du Canada cherchait à rajeunir sa clientèle en proposant notamment une tribune familiale!

De la même manière, Ecclestone ne croit pas à Twitter et Facebook pour publiciser son sport. Il ne comprend pas l'utilité des réseaux sociaux.

Quant aux enjeux sportifs, Dumontier aimerait que ses homologues et lui soient consultés. Ainsi, lorsque le bruit du moteur a été diminué il y a deux ans, les promoteurs ont été placés devant le fait accompli.

«En anglais, explique Dumontier, on parle des trois S pour expliquer l'engouement de la Formule 1: smell, sound, speed, c'est-à-dire l'odeur, le son et la vitesse. Or, si l'amateur trouve qu'un de ces éléments est manquant...»

***

Le Grand Prix du Canada n'est pas en crise. Mais pour exploiter le potentiel de croissance offert par la durée du contrat actuel, il doit enclencher la vitesse supérieure. Pour cela, deux projets sur lesquels Dumontier travaille depuis plus d'un an devront aboutir.

D'abord, la signature d'un commanditaire majeur, qui fera rayonner le Grand Prix. Ensuite, un partenariat avec une société spécialisée dans le marketing des événements d'envergure.

Si ces dossiers ne débloquent pas, le Grand Prix en sera au même point l'an prochain. Et ses fournisseurs devront de nouveau se montrer patients.