Comment est-ce encore possible en 2015? Ce n'est pas comme si le danger des commotions cérébrales était méconnu. Comme s'il n'y avait pas eu des histoires donnant froid dans le dos à propos des séquelles de ces chocs au cerveau, surtout lorsqu'ils ne sont pas traités de manière appropriée.

Pourtant, lundi matin, tout le Québec a appris la nouvelle: Eugenie Bouchard, victime d'étourdissements, a abandonné son match à l'Omnium de Chine. Elle était menée 2-6, 1-1 par Andrea Petkovic. Il s'agissait de sa première compétition depuis sa commotion subie à New York, il y a un mois.

Mais que faisait Bouchard sur le terrain? La semaine précédente, elle s'était retirée d'un autre tournoi, justement parce que ses symptômes n'étaient pas disparus.

On peut comprendre le désir d'une jeune athlète de reprendre vite ses activités. Et peut-être avait-elle pris du mieux. Mais comment expliquer que son entourage ne lui ait pas rappelé les principes élémentaires de prudence? Après tout, la saison tire à sa fin et personne ne confondra l'Omnium de Chine avec Wimbledon ou Roland-Garros.

Si une athlète de la dimension de Bouchard, pouvant demander conseil à des spécialistes réputés, tombe dans le piège du retour au jeu précipité, imaginez le risque que courent des dizaines d'enfants et d'adolescents qui, chaque week-end, sont victimes d'une commotion cérébrale au Québec en pratiquant leur sport favori. Bien sûr, Bouchard n'a pas subi la sienne sur la surface de jeu, mais les conséquences sont identiques.

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Chez nos voisins du Sud, les 50 États ont adopté un protocole de gestion des commotions cérébrales touchant les jeunes. Il s'agit généralement de mesures simples, mais essentielles: retrait du jeu après un coup à la tête, examen médical, autorisation de retour à la compétition. Le Mississippi a été le dernier à légiférer en janvier 2014.

Un an plus tard, l'Ontario a diffusé une directive obligeant les commissions scolaires à se doter d'un plan d'intervention. Et la réflexion visant à étendre cette mesure est bien engagée.

Et chez nous, vous demandez? La réponse est simple: zéro législation. Dans cet enjeu fondamental de santé publique, même le Mississippi est plus progressiste que le Québec.

Ce n'est pourtant pas comme si aucune piste n'avait été explorée. La semaine dernière, mon collègue Gabriel Béland a révélé que le rapport du Groupe de travail sur les commotions cérébrales, remis au gouvernement en mars dernier, demeurait secret. Le neuropsychologue Dave Ellemberg, de l'Université de Montréal, déplorait avec raison cette aberration.

D'autres membres du Groupe ayant produit ce document, comme l'ex-footballeur Matthieu Proulx, sont aussi excédés par cette attitude désinvolte. Ces gens-là ont travaillé sérieusement parce qu'ils prennent à coeur la santé des jeunes Québécois. En retardant la divulgation de ce rapport déposé il y a sept mois, et qui contient plusieurs recommandations, le gouvernement banalise les commotions cérébrales.

Ironiquement, le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, est diplômé en neurochirurgie et devrait comprendre l'importance d'agir vite afin de lutter contre ce fléau. Mais il n'est guère plus pressé que son ministre de l'Éducation, du Loisir et du Sport, François Blais.

«Les commotions laissent une trace chez les jeunes», dit le Dr Ellemberg, à qui j'ai parlé lundi. «Les parents en sont conscients, mais ils ne savent pas quoi faire. Le cerveau est plus fragile après une commotion. Le risque d'en subir une autre est de trois à cinq fois plus élevé. La mémoire et la concentration peuvent être affectées.»

Le ministre Blais donnera-t-il un jour signe de vie à ce chapitre? Son silence rappelle à quel point le sport et les jeunes athlètes sont mal servis par le ministère de l'Éducation. Les priorités de cette immense structure se situent évidemment ailleurs.

En décembre 2012, le comité-conseil sur l'avenir du Parc olympique, présidé par Lise Bissonnette, recommandait que le ministère de l'Éducation délègue ses responsabilités en sports et loisirs à la Régie des installations olympiques, dont le mandat national serait élargi.

L'idée mériterait d'être débattue. Mais puisque ce n'est pas demain la veille, le ministre Blais demeure responsable du dossier des commotions cérébrales chez les jeunes sportifs. Si le premier ministre Couillard ne le lui rappelle pas, sa collègue Kathleen Weil, ministre de l'Immigration, devrait le faire.

Pourquoi? Parce qu'en 2013, alors dans l'opposition, Mme Weil a déposé un projet de loi «pour prévenir et réduire les conséquences des traumatismes crâniens». Dans un communiqué, elle déplorait même «le manque de volonté» du gouvernement «alors que les solutions font consensus parmi les experts».

Mme Weil montrerait du leadership en le répétant à MM. Couillard et Blais à la prochaine séance du Conseil des ministres.

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Après avoir abandonné son match de lundi, Eugenie Bouchard a confié à son adversaire Andrea Petkovic que ses étourdissements revenaient en situation d'effort intense. Ce commentaire a inquiété Dave Ellemberg. Si le repos n'est pas suffisant après un choc au cerveau, la récupération peut être longue.

Souhaitons que Bouchard se repose et se rétablisse complètement avant de reprendre l'entraînement. À l'âge de 21 ans, avec un formidable avenir devant elle, elle n'a aucune raison de brusquer les choses.

Il n'empêche que son cas démontre que beaucoup de pédagogie reste à faire dans la lutte contre les commotions cérébrales. Voilà pourquoi le gouvernement doit rendre public dès maintenant le rapport du groupe de travail présidé par Dave Ellemberg. Ses conclusions contribueront à sensibiliser les jeunes, les parents et les entraîneurs à cet enjeu de société.

À Philippe Couillard et François Blais d'agir. L'attente a assez duré.