Pas mal, tout de même, pour un gars de Montréal qui a commencé sa carrière dans le baseball comme bénévole au service du courrier des Expos ! Quinze ans plus tard, Alex Anthopoulos mérite à coup sûr le titre d'administrateur de l'année dans les majeures. Il a transformé ses Blue Jays de Toronto en redoutable machine capable de remporter la Série mondiale.

« Santhopoulos ! », disait une affiche placardée au Rogers Centre, récemment. En effet, pour les Torontois habitués à la médiocrité de leurs équipes professionnelles, Anthopoulos rappelle « Santa Claus », c'est-à-dire le père Noël.

À la même époque l'an dernier, il semblait pourtant sur la corde raide. Quelques semaines plus tôt, son inaction à la date limite des transactions avait choqué ses propres joueurs, notamment le releveur Casey Janssen et le voltigeur José Bautista.

Malgré les explications d'Anthopoulos, le mal était fait : les Blue Jays connurent un terrible mois d'août (9 victoires et 17 revers) et s'effondrèrent au classement. Le vestiaire d'une équipe professionnelle est un organisme délicat, capable de réactions vives lorsque ses occupants ne sentent pas le soutien de leurs patrons. Pour le DG, voir ainsi son équipe s'écrouler, en étant lui-même montré du doigt, a sûrement été une expérience pénible.

Anthopoulos ne s'est pas découragé. Il a entrepris de remodeler la formation. Première décision : embaucher Russell Martin. Le receveur québécois est un gagnant comme il s'en fait peu. Imaginez : si les Blue Jays poursuivent leur saison en octobre, il participera aux séries éliminatoires une huitième fois en dix saisons. Il aura ainsi réussi le coup avec toutes les équipes (Dodgers, Yankees, Pirates et Blue Jays) dont il a porté les couleurs. Ce n'est pas rien, avouons-le !

Anthopoulos a ensuite réussi une transaction magique, obtenant le troisième-but Josh Donaldson des A's d'Oakland en retour de Brett Lawrie et de trois espoirs. Cette décision a montré qu'Anthopoulos avait du cran, car Lawrie, un joueur canadien, était très populaire à Toronto.

Combatif au bâton comme en défense, Donaldson est le favori pour remporter le titre de joueur par excellence de la saison dans la Ligue américaine.

Dans un portrait publié plus tôt cet été, Sports Illustrated a raconté son histoire, celle d'un joueur obsédé par le baseball (il collectionne les cartes et rêve d'obtenir celle de Mickey Mantle lancée en 1951).

Sa carrière a décollé en 2012, au camp d'entraînement des A's. Il a troqué le poste de receveur contre celui de troisième-but. Donaldson ne frappera pas 4000 coups sûrs. Mais sa fougue sur le terrain me rappelle celle de Pete Rose. Vous savez, ce genre de gars qui se donne à fond sur tous les jeux.

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Les Blue Jays ont marqué des tonnes de points dès le début de la saison. Mais leurs ennuis au monticule leur ont donné de gros soucis. Et le 28 juillet, leur retard sur le premier rang de leur division était de huit matchs.

À Toronto, à l'approche de la date limite des transactions, les partisans discutaient ferme : Anthopoulos jouerait-il son va-tout, ou se montrerait-il aussi prudent que la saison précédente ?

La réponse à cette question a été spectaculaire. Anthopoulos n'a pas seulement agi, il a orchestré un feu d'artifice ! Il a d'abord obtenu Troy Tulowitzki, l'un des meilleurs arrêt-courts des majeures, puis mis le grappin sur David Price, le lanceur gaucher dominant. Pour conclure, il a ajouté le rapide voltigeur Ben Revere.

Si l'arrivée de Price a donné aux Blue Jays un véritable lanceur numéro un, celle de Tulowitzki a raffermi la défense. La baisse de régime de son prédécesseur Jose Reyes était inquiétante. Du coup, les Blue Jays sont devenus une équipe très fiable, ce qui a aidé tous leurs lanceurs.

Alex Anthopoulous a montré de l'audace et les choses tournent bien pour lui. Depuis ces transactions, les Blue Jays ont disputé des matchs à guichets fermés, générant ainsi des millions en revenus supplémentaires.

À la télé, les cotes d'écoute sont en hausse. Et la série de quatre rencontres s'amorçant ce soir au Yankee Stadium, avec le premier rang de la division Est de la Ligue américaine à l'enjeu, fracassera sans doute des records. D'un bout à l'autre du Canada, les Blue Jays suscitent un intérêt immense. Le DG peut être content de lui.

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Depuis des mois, Anthopoulos travaille dans l'incertitude à Toronto. Dès l'automne dernier, l'entreprise Rogers, propriétaire des Blue Jays, a voulu remplacer le président Paul Beeston, estimant que le gestionnaire chevronné était mûr pour la retraite.

À l'époque, Dan Duquette, ancien DG des Expos et actuel vice-président des Orioles de Baltimore, avait été pressenti pour lui succéder. L'affaire n'a pas abouti, et Beeston est demeuré en poste pour une dernière saison.

La semaine dernière, les Blue Jays ont annoncé le nom de leur nouveau grand manitou : Mark Shapiro, actuel président des Indians de Cleveland, qui s'installera à Toronto en novembre prochain.

Beeston a toujours appuyé Anthopoulos, lui laissant les coudées franches pour diriger le secteur baseball. Cela n'aurait sûrement pas été le cas si Duquette avait hérité du poste. On verra maintenant si Shapiro prolongera le contrat d'Anthopoulos, qui se termine à la fin de la saison.

Peu importe la tournure des événements, les dernières semaines ont permis à Anthopoulos de consolider sa réputation dans les majeures. Le « p'tit gars de Ville Mont-Royal » qui gérait jadis le courrier expédié aux joueurs des Expos connaît un fabuleux été. Il occupera encore longtemps un poste de responsabilité dans le baseball.