Je rêvais d'une série entre le Canadien de Montréal et les Red Wings de Detroit. Pas pour entendre Mike Babcock nous redire son amour des sandwichs à la viande fumée de chez Schwartz's, mais pour la tradition. La grande tradition, celle forgée dans le temps du hockey à six équipes, avec ses rivalités exacerbées.

Tenez, Maurice Richard, par exemple... Vous savez ce qui le mettait vraiment en rogne? C'était d'entendre un journaliste suggérer que Gordie Howe connaîtrait une meilleure carrière que lui.

Le caractère entier du Rocket se révèle d'ailleurs dans une anecdote qui mérite d'être racontée de nouveau. Un jour de 1953, Claude Larochelle, le réputé journaliste de Québec, cogne à la porte de la maison de Richard, dans le quartier Ahuntsic, pour une entrevue convenue d'avance.

Hélas, dans un article fraîchement publié, Larochelle a posé ces questions: «Gordie Howe est-il le meilleur joueur de l'heure? En quoi surpasse-t-il Maurice Richard?»

En apercevant Larochelle, Richard lance: «Howe, t'as l'air de le trouver pas mal bon...» Et il refuse de rencontrer le représentant du Soleil... avant de changer d'idée au moment où celui-ci, dépité, retourne vers son auto.

Ça, c'est l'effet d'une rivalité! Les Red Wings, le Canadien, les coups de coude dans les coins de patinoire, les exploits, le vieux Forum et l'Olympia, Marcel Pronovost, Ted Lindsay, Marcel Bonin et Dickie Moore... Des souvenirs trempés dans notre inconscient collectif, même si on est trop jeune pour en avoir été témoin. Après tout, suffit de fermer les yeux pour apercevoir, dans notre imagination, le Rocket foncer vers Terry Sawchuk, le grand Gordie à ses trousses...

Avec le Lightning de Tampa Bay, évidemment, c'est autre chose. Le parcours de cette organisation, aujourd'hui une des plus efficaces du circuit, est rempli de ces fabuleuses anecdotes propres aux concessions établies dans des marchés «non traditionnels», un euphémisme pour exprimer avec diplomatie combien le hockey vient loin dans les priorités des amateurs de sport.

Un exemple: ce matin, à Montréal, la série entre le Canadien et le Lightning est la grosse histoire sportive. À Tampa? Pas du tout! Hier soir, le premier tour du repâchage de la NFL a été tenu. Et devinez qui détenait le premier choix... Eh oui, les Buccaneers de Tampa Bay! On parlera beaucoup plus de football que de hockey en Floride durant les deux prochaines semaines.

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À l'automne 1992, deux nouvelles équipes font leur entrée dans la LNH: les Sénateurs d'Ottawa et le Lightning, ironiquement les deux premiers rivaux du Canadien ce printemps.

Derrière la fondation du Lightning, on retrouve un canon du hockey: Phil Esposito, héros de la Série du siècle de 1972 (Canada contre URSS) et marqueur de 717 buts en carrière.

Après avoir été congédié de son poste de DG des Rangers de New York en 1989, peu après avoir lui-même remercié son entraîneur Michel Bergeron deux matchs avant la fin de la saison, Esposito se donne une mission: implanter une équipe de la LNH en Floride.

Entre deux rondes de golf, Esposito multiplie les démarches, cherchant des investisseurs et tentant de convaincre le circuit du bien-fondé du projet.

La LNH, désireuse d'augmenter significativement son nombre d'équipes, ne décourage pas ses efforts, bien au contraire! Après de multiples chassés-croisés, dont il fait une narration hilarante dans son autobiographie, Esposito et ses partenaires réussissent à intéresser des investisseurs japonais à l'aventure du hockey à Tampa Bay.

Un jour, le comité d'expansion de la LNH veut analyser les états financiers d'une des sociétés pressenties. La réunion tourne mal. Son représentant ne parle pas un mot d'anglais et tous les documents sont en japonais!

Stanley Jaffe, le grand patron de Paramount, un immense conglomérat du sport-spectacle propriétaire du Madison Square Garden, perd patience.

Furieux, il brandit les documents déposés par le comptable nippon et lance: «Non, mais c'est une blague?»

Au bout du compte, Esposito relève en partie son pari. Il obtient une concession pour Tampa Bay, mais n'en détiendra pas le contrôle. Il sera un simple employé, ce qui n'était pas son plan initial.

Pour choisir le nom de l'équipe, Esposito veut organiser un concours. Mais un après-midi, au cours d'une réception tenue dans une résidence érigée au bord de l'eau, l'orage éclate. Un éclair gigantesque surgit, suivi d'un intense coup de tonnerre. Esposito se demande si ce n'est pas la fin du monde! La mère de son hôte, une dame de 80 ans, lui lance alors: «Tu devrais appeler ton équipe le Lightning...»

Esposito est d'accord. Suave comme à son habitude, il écrit: «Le nom ne changerait pas, même si le concours aurait lieu.»

Le Lightning fut éventuellement vendu. Et Esposito quitta son poste en 1998.

Douze ans plus tard, Jeff Vinik acheta l'équipe. Il compte aujourd'hui parmi les gens d'affaires les plus influents de la région, investissant notamment dans l'immobilier au centre-ville de Tampa.

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Le Lightning est devenu une histoire à succès dans la LNH. La concession a traversé quelques tempêtes après sa conquête de la Coupe Stanley en 2004, mais est aujourd'hui un modèle de réussite. Le DG Steve Yzerman et son adjoint Julien BriseBois, un ancien de l'organisation du Canadien, tiennent solidement le gouvernail.

Dirigé par un entraîneur créatif, Jon Cooper, le Lightning représente un formidable rival pour le Canadien, qui a perdu les cinq affrontements entre les deux clubs cette saison.

Peu m'importe: je choisis le Canadien pour remporter la série en six matchs. Une équipe alignant un finaliste pour les trophées Vézina et Hart (Carey Price) et Norris (P.K. Subban) possède forcément des atouts remarquables. Surtout quand elle a connu une aussi solide saison régulière.

Je crois aussi que les Sénateurs d'Ottawa, qui étaient sur une formidable lancée au début des séries, représentaient un adversaire plus redoutable que les Red Wings de Detroit. Voilà pourquoi la victoire du Canadien en première ronde me semble encore plus impressionnante que celle du Lightning.

Cela dit, la pression sur Michel Therrien est forte. C'est à lui de trouver les solutions pour relancer l'attaque massive du CH, largement inefficace contre les Sénateurs. Je pense qu'il trouvera la bonne recette, même si je le sens moins détendu que durant toutes les séries de l'an dernier.

Les deux revers contre Ottawa ont semblé ébranler l'entraîneur. Il a suffi de voir sa mine déconfite, et d'entendre ses réponses courtes après ces rencontres, pour le réaliser.

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Je rêvais d'une série entre le Canadien et les Red Wings de Detroit. Mais je m'accommoderai très bien de ce duel contre le Lightning. On devrait voir du hockey rapide et enlevant.

Avec ce deuxième rendez-vous printanier consécutif, qui s'ajoute à celui de 2004, les deux clubs façonnent peu à peu leur propre rivalité. Et compte tenu du nombre de Québécois ayant joué ou travaillé pour le Lightning au fil des ans, de Jacques Demers à André Roy, et de Vincent Lecavalier à Martin St-Louis, l'équipe nous est plus sympathique que beaucoup d'autres.

Et qui sait? Même si les attaches montréalaises de Jon Cooper ne sont pas celles de Mike Babcock - un ancien de l'Université McGill -, peut-être se laissera-t-il tenter par un «smoked meat» de chez Schwartz's ce week-end.

* Source: Phil Esposito: Thunder and Lightning, A No-B.S. Hockey Memoir. McClelland and Stewart, 2004.