Un salon du Centre Bell, la semaine dernière. Assis dans un coin de la pièce, Marc Bergevin évoque la concurrence serrée entre les équipes de la LNH.

«Il reste cinq matchs en saison et les Kings de Los Angeles luttent toujours pour une place en séries. Ils ont pourtant remporté deux Coupes Stanley au cours des trois dernières années. Imagine si, à Montréal, on se retrouvait dans cette situation après avoir connu de tels succès! Sérieux, je pense qu'il n'y aurait pas d'école demain! On parlerait de tout revirer l'organisation à l'envers.»

En perdant à Calgary jeudi, les Kings ont officiellement été éliminés. Mais le hockey demeure un sport secondaire à Los Angeles et cette déconvenue sera vite oubliée. Alors qu'à Montréal, le Canadien est condamné au succès, comme l'image cocasse de Bergevin le rappelle bien.

Car il ne faut pas s'y tromper: malgré les succès de l'équipe depuis octobre dernier et l'état de santé incertain de Max Pacioretty, la déception sera immense au Québec si le CH rate son parcours en séries éliminatoires. Bergevin ne l'ignore pas. Mais il sait aussi que la lutte entre les

16 équipes qualifiées sera sans merci dès la première ronde, qui s'amorcera mercredi.

«Tu sais quoi? La parité est telle que personne ne pourra s'étonner de la victoire d'un club sur un autre. À l'époque où je jouais, c'était différent. La mentalité des meilleures équipes était de conclure la première série au plus vite afin de se reposer. Celles qui s'étaient qualifiées de justesse étaient contentes de jouer quelques matchs de plus. Aujourd'hui, ça ne fonctionne plus ainsi. Si tu te qualifies pour les séries, tout devient possible.»

Voilà pourquoi l'objectif de Bergevin est simple au début de chaque saison: obtenir une place dans le tournoi de la Coupe Stanley, là où tous les espoirs sont permis. La première place au classement général et l'avantage de la glace ne sont pas une priorité pour lui. Tant mieux si ça arrive, mais il n'en fait pas une fixation.

On peut comprendre le directeur général du Canadien de penser ainsi. Depuis sa nomination, l'équipe a remporté les deux séries amorcées à l'étranger... et perdu les deux dont le coup d'envoi avait été donné au Centre Bell!

«Comme joueur, quand tu commences sur la route, tu ne rentres jamais à la maison down, affirme-t-il. Si tu remportes un match, tu as fait la job. Deux victoires? Wow! Et si tu perds les deux rencontres, tu gardes espoir de créer l'égalité devant tes partisans.»

En revanche, une équipe qui perd un de ses deux premiers matchs à domicile est toujours un peu ébranlée; si elle laisse filer les deux, c'est encore pire.

«L'avantage de la glace n'est pas un facteur énorme, poursuit-il. C'est sûr que c'est le fun à avoir, que c'est préférable, mais ce n'est pas nécessaire. Tiens, je serais curieux de savoir quel pourcentage d'équipes gagnent un septième match à la maison...»

Un coup d'oeil aux résultats du printemps dernier confirme le flair de Bergevin. Les clubs visiteurs ont remporté six des sept séries qui se sont conclues au septième match. Et dans l'ensemble des éliminatoires, les équipes avec l'avantage de la patinoire n'en ont remporté que 6 sur 15.

Ces statistiques, peut-être un phénomène sporadique, nous indiquent néanmoins que Bergevin a raison de souligner l'équilibre entre les clubs qualifiés.

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Au cours des derniers mois, on a beaucoup parlé de la «fenêtre d'opportunité» du Canadien. Il s'agit de cette période de temps où l'équipe sera un aspirant sérieux à la Coupe Stanley, avant que le vieillissement de ses meilleurs joueurs et les contraintes du plafond salarial ne diminuent ses chances. Cette triste évolution est presque inévitable, comme les Bruins de Boston l'ont découvert cette saison.

«Oui, cette fenêtre existe, reconnaît Bergevin. Chaque club possède son noyau de joueurs. Et lorsque ce noyau vieillit...

«Dans notre cas, Max Pacioretty, P.K. Subban et Carey Price sont encore jeunes. Brendan Gallagher et Alex Galchenyuk ont 22 et 21 ans. Voilà cinq gars qui représentent notre avenir. Ça nous donne une bonne fenêtre d'opportunité.»

Bien sûr, Bergevin rappelle qu'Andrei Markov et Thomas Plekanec font aussi partie du noyau du Canadien. Cela dit, ils sont déjà dans la trentaine.

«Dis-moi, Marc, cette fenêtre durera combien d'années?»

La réponse du DG est claire: «Aussi longtemps que tu as Carey Price, à voir la façon dont il performe, tu as une chance. Et il n'a que 27 ans.»

Price, ne l'oublions pas, est aussi sous contrat pour les trois prochaines saisons. Et le Canadien prendra sûrement les moyens pour qu'il renouvelle son entente le moment venu.

Cela dit, Bergevin rappelle combien il est difficile de gagner une Coupe Stanley. Depuis la saison annulée de 2004-2005, les Red Wings de Detroit n'en ont remporté qu'une seule, malgré des joueurs formidables comme Niklas Lidstrom, Henrik Zetterberg et Pavel Datsyuk. Une unique Coupe aussi pour les Penguins de Pittsburgh, qui alignent pourtant deux des meilleurs attaquants de leur génération, Sidney Crosby et Evgeny Malkin.

Aujourd'hui, d'autres équipes sont en progression. Les Panthers de la Floride, par exemple, pourraient devenir une puissance du circuit.

«L'autre jour, sur leur jeu de puissance, les Panthers alignaient Aaron Ekblad, Aleksander Barkov, Jonathan Huberdeau et Erik Gudbranson», indique Bergevin.

«Ils ont tous été choisis parmi les trois premiers du repêchage. Il faut connaître plusieurs années difficiles pour sélectionner à un rang si élevé durant quatre saisons. À Montréal, je n'aurai jamais ce luxe. Et aucun autre DG ne l'aura après moi. Parce qu'on ne pourrait pas finir aussi bas au classement si longtemps. Ça ne marcherait pas.»

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Pour mieux comprendre comment Marc Bergevin dirige le Canadien et saisir les nuances du marché des échanges dans la LNH, il suffit d'aborder une question simple: pourquoi ne pas avoir acquis Jaromir Jagr à la date limite des transactions?

Malgré son âge, le gros attaquant aurait sûrement aidé l'équipe ce printemps. Et son impact, à n'en pas douter, aurait été supérieur à celui de Torrey Mitchell, Brian Flynn ou Devante Smith-Pelly.

Pour acquérir ses services des Devils du New Jersey, les Panthers ont cédé un choix de deuxième tour en juin prochain et un autre de troisième tour en 2016. Mais le Canadien aurait dû verser un prix plus élevé.

Pourquoi? Tout simplement parce que la valeur du choix de deuxième ronde des Panthers était beaucoup plus élevée en raison de leur moins bonne position au classement. Le jour de la transaction, il y avait une différence de

16 rangs entre leur sélection et celle du Canadien!

En conséquence, pour battre l'offre des Panthers, le Canadien aurait dû offrir un choix de premier tour et un autre de deuxième tour. Ce que Bergevin n'aurait pas fait. «Donner deux choix pareils, ça hypothèque ton avenir pour longtemps», dit-il.

Rappelez-vous le mandat que Geoff Molson a confié à Bergevin en l'embauchant: faire du Canadien une équipe concurrentielle année après année.

«Aujourd'hui, tu dois absolument bâtir avec le repêchage, soutient le DG. Les joueurs autonomes du 1er juillet, oublie ça! Les bons ont déjà tous signé un nouveau contrat avec leur équipe. Il y en a de moins en moins de disponibles. D'ailleurs, à mon avis, c'est à cette date que les plus grosses erreurs ont été commises dans la LNH. Vouloir absolument un joueur, c'est s'engager dans une voie très dangereuse. Tu dois te fixer un prix et le respecter.»

Malgré les contraintes qu'il s'impose, Bergevin a réussi de bons coups à la date limite des transactions. En 2014, il a obtenu Thomas Vanek, un gros attaquant qui a aidé l'équipe dans la dernière ligne droite de la saison.

Cette année, il a acquis Jeff Petry, des Oilers d'Edmonton, en retour d'un choix de deuxième tour. Son arrivée a consolidé la défense. Le DG se montre enthousiaste à son endroit. Ses propos laissent croire qu'il lui proposera un nouveau contrat après la saison, ce qu'il n'a pas fait avec Vanek.

«Jeff nous a donné une profondeur dont on avait besoin, dit-il. Sa force, c'est son patin. Et les gars qui patinent bien peuvent jouer longtemps.»

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Avant même la blessure de Max Pacioretty, dont le statut demeure incertain en vue des séries, l'offensive du Canadien soulevait des doutes.

Ces difficultés à marquer sonneront-elles le glas de l'équipe ce printemps? Pour l'éviter, des joueurs moins explosifs devront se distinguer, à l'image de Rene Bourque et de Dale Weise l'an dernier.

Cela dit, la philosophie de Bergevin n'a pas changé: «Dans tous les sports, dit-il, les défenses gagnent les championnats.»

Et le socle de la défense du Canadien, c'est Carey Price, qui, de l'avis de son DG, est le meilleur joueur de la Ligue nationale cette saison. Un gros atout, au moment où s'amorcent les séries. Reste à savoir s'il sera suffisant.