Il reste cinq minutes au match et, dans mon esprit, l'affaire est entendue. Assis à la tribune de presse du Bolchoï, le bel amphithéâtre où est présentée la finale de hockey féminin des Jeux de Sotchi, je range mon ordinateur dans mon sac à dos.

Les Américaines mènent 2-0 et filent vers une victoire sans appel. Aussi bien descendre tout de suite dans la zone d'entrevue sous les gradins, afin de cueillir les réactions des filles canadiennes après la remise des médailles. Elles ne s'attarderont sûrement pas.

Les défaites dans les grands matchs font toujours mal. Mais pour cette équipe fière, perdre contre les États-Unis aura l'effet d'un coup de couteau en plein coeur. L'objectif était de rentrer au pays avec l'or au cou, pas l'argent. Leur peine sera terrible. Ce rendez-vous, elles l'attendaient depuis des mois.

Mais attention, que se passe-t-il? Équipe Canada vient de marquer un but! Bon, ce n'est peut-être pas fini, après tout... Aussi bien attendre un peu avant de quitter ma place.

La suite fait maintenant partie de notre histoire sportive. Mais le simple fait de rappeler ce feu d'artifice donne des frissons.

Souvenez-vous: le Canada retire sa gardienne de but et les Américaines viennent à un centimètre de marquer dans un filet désert! Elles ne se remettront pas de cette occasion ratée. Marie-Philip Poulin marque ensuite le but égalisateur. Et quelques minutes plus tard, elle inscrit celui de la victoire en prolongation. Un but en or, un instant magique, une émotion enivrante...

J'ai eu la chance d'assister à plusieurs grands événements sportifs dans ma vie. Mais j'ignore si l'un d'eux m'a autant marqué. Ce jour-là, sur le bord de la mer Noire, 20 filles portant un maillot rouge ont donné un extraordinaire exemple de résilience. Elles nous ont offert le meilleur du sport.

Cette victoire représente une performance hors du commun. Assurément la plus belle de 2014 sur la scène sportive canadienne.

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Au coeur de ce triomphe, on retrouve donc Marie-Philip Poulin, de Beauceville. Aux Jeux de 2010, à Vancouver, elle avait déjà montré sa capacité à briller sous la pression, marquant les deux buts des siens dans le match de la médaille d'or, aussi gagné par le Canada.

Joueuse la plus douée de sa génération, Marie-Philip a été ralentie par une blessure à Sotchi. Avant l'ultime affrontement, elle avait connu un bon tournoi, sans plus. Mais comme son entraîneur Kevin Dineen l'expliquera après la finale, les yeux de Marie-Philip sont uniques: «Comme s'il y était écrit: «Joueuse des grandes occasions». Elle a mis son sceau sur cette victoire.»

Après la rencontre, Marie-Philip Poulin est demeurée humble. Interrogée sur le secret de sa réussite, elle a rétorqué: «J'essaie de m'amuser. Je veux toujours aller sur la glace avec un sourire.»

De tous les hockeyeurs qui ont brillé en 2014, gars et filles confondus, Marie-Philip Poulin est celle qui m'a le plus impressionné.

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Remporter une médaille d'or olympique est un exploit gigantesque. Un athlète ambitieux n'accomplissant pas son rêve ne peut se reprendre dès l'année suivante, comme c'est le cas dans presque tous les championnats. Il doit attendre quatre longues années, une période où une carrière peut prendre des directions imprévues.

Une seule chose est plus exigeante que de monter sur la plus haute marche du podium: réussir le coup deux Jeux d'affilée. C'est ce qu'Alexandre Bilodeau a réalisé, en ski de bosses, à Vancouver et Sotchi.

Comment oublier sa formidable victoire de février 2010? Alexandre est alors devenu le premier athlète canadien à gagner l'or dans des Jeux disputés au pays. Du coup, son nom est passé à l'histoire. Mais cette réussite ne l'a pas rassasié. Malgré l'émergence de son compatriote Mikaël Kingsbury, il a gardé le cap sur les Jeux de Sotchi, à l'évidence son dernier tour de piste.

En Russie, Bilodeau a effectué une descente formidable pour arracher la première place. Le moins surpris a sans doute été Kingsbury lui-même, qui a récolté l'argent: «Même durant nos entraînements en gymnase, Alexandre veut gagner tous les petits concours qu'on fait...», a-t-il expliqué le lendemain de la finale.

La route vers Sotchi a parfois manqué d'élégance pour Alexandre Bilodeau. Dans des compétitions tenues quelques semaines plus tôt, il s'est plaint du travail des juges, jetant ainsi une ombre sur les victoires de Kingsbury.

Après une descente à Calgary, il a même refusé de rencontrer les journalistes. Une dizaine de jours plus tard, Alexandre a expliqué à mon collègue Simon Drouin qu'il avait choisi le silence plutôt que de parler sous le coup de l'émotion. «Ce n'était peut-être pas ma meilleure décision. Mais je suis comme ça, je suis désolé. Je suis quelqu'un d'intense.»

Oui, très intense! Doué et lucide, aussi.

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Le trophée Lou Marsh, remis à l'athlète par excellence au Canada, a été décerné à Kaillie Humphries cette semaine. L'athlète albertaine a défendu avec succès son titre olympique en bobsleigh à deux à Sotchi.

Humphries est une grande championne, engagée dans plusieurs causes méritoires. Elle fait beaucoup pour son sport et on ne peut que l'admirer.

Cela dit, comment expliquer que Marie-Philip Poulin et Alexandre Bilodeau n'aient pas compté parmi les finalistes? À Sotchi, ils ont aussi répété leurs exploits de Vancouver, montrant ainsi leur pugnacité et leur talent.

Eugenie Bouchard, Milos Raonic, Drew Doughty et Johnny Powless (joueur de crosse) étaient les autres finalistes. Malgré de belles saisons, leurs succès ne sont pas aussi significatifs que ceux de Marie-Philip Poulin et Alexandre Bilodeau, mes deux champions de 2014.