Dix ans après le départ des Expos, j'ai retrouvé le goût du baseball. Assez pour aller voir deux matchs des Blue Jays à Toronto durant les vacances; assez pour m'être intéressé aux spectaculaires échanges du jour limite des transactions; et assez pour donner un coup de fil à Dan Duquette.

Vous souvenez-vous de Dan? Allez, un p'tit effort! En septembre 1991, Duquette est devenu directeur général des Expos, le plus jeune à occuper ce poste dans les majeures.

Je me souviens l'avoir interviewé dans son bureau du Stade olympique peu après sa nomination. Sérieux, concentré, il n'était pas du genre à émailler sa conversation de mille anecdotes sur le baseball. Duquette allait à essentiel. Et il avait du flair.

Tenez, c'est lui qui a échangé Delino DeShields, le populaire deuxième-but des Expos, aux Dodgers de Los Angeles en retour de... Pedro Martinez! À l'époque, l'échange avait soulevé un tonnerre de critiques. DeShields était un excellent joueur, impliqué dans la communauté. Et Pedro n'était pas connu.

«Un geste de redressement économique», avait expliqué Duquette, utilisant le vocabulaire préféré des dirigeants des Expos. DeShields gagnait 2,7 millions et Pedro, 120 000 $. (Ne pleurons pas sur son sort, il s'est joliment repris! Remporter trois fois le trophée Cy-Young renforce le pouvoir de négociation...)

N'empêche que de tous les joueurs proposés aux Expos en retour de DeShields, Duquette a choisi le bon. Et c'est aussi lui qui a nommé Felipe Alou gérant de l'équipe en mai 1992. Jamais un Dominicain n'avait dirigé un club des majeures.

Les succès de Duquette furent remarqués. Lorsque les Red Sox de Boston voulurent un nouveau directeur général avant la saison 1994, ils se tournèrent vers lui. Originaire du Massachusetts, Duquette rêvait de diriger les Red Sox. Il fit faux bond aux Expos sans l'ombre d'une hésitation. Son choix laissa un goût très amer aux partisans des Z'Amours.

Duquette demeura le grand manitou des Red Sox durant huit ans. Il perdit son poste à l'arrivée de nouveaux propriétaires après la saison 2001. Pour la première fois depuis son entrée dans le baseball majeur, il se retrouva sans emploi. Il espérait obtenir une nouvelle chance mais son téléphone ne sonna pas.

La feuille de route de Duquette était excellente mais ses lacunes sur le plan des communications interpersonnelles lui firent mal. À la fin de son séjour à Boston, il était impopulaire auprès des joueurs, des partisans et des journalistes. Ça commence à faire beaucoup.

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Pendant 10 saisons, le baseball majeur oublia Dan Duquette. Mais Dan Duquette n'oublia pas le baseball majeur. Il rêvait d'y revenir. Et à l'automne 2011, à la surprise générale, il fut nommé vice-président et directeur général des Orioles de Baltimore.

Aujourd'hui, les Orioles dominent la puissante division Est de la Ligue américaine. Et malgré l'absence de plusieurs joueurs de renom (blessures et suspension), il ne faudra pas les prendre à la légère en octobre. Sous la gouverne de Duquette, l'équipe a toujours maintenu une moyenne supérieure à ,500, ce qu'elle n'avait pas réussi au cours des 14 saisons précédentes!

- Dan, comment as-tu convaincu les Orioles de t'embaucher après une si longue absence?

- J'ai eu du succès avec les Expos et les Red Sox. Et je n'ai pas oublié comment diriger une équipe durant toutes ces années! J'ai aussi pris du recul en m'occupant de baseball amateur. Je suis plus patient aujourd'hui. Et j'ai une appréciation plus vive pour le poste que j'occupe.

À son arrivée à Baltimore, Duquette a promis de soigner ses relations avec tous les intervenants du baseball. Quand je lui demande s'il estime avoir relevé ce défi, notamment avec les médias, il éclate de rire: «Hé, on est en train de se parler, non?»

Duquette n'a rien oublié de son séjour avec les Expos, où il a d'abord été responsable du recrutement. Avec les Orioles, il a d'ailleurs embauché le célèbre dépisteur Fred Ferreira, un autre ancien membre de l'organisation des Z'Amours, qui a découvert plusieurs excellents joueurs, dont Vladimir Guerrero.

«J'ai toujours éprouvé beaucoup de reconnaissance envers Charles Bronfman et Claude Brochu», dit Duquette, en parlant des deux anciens propriétaires des Expos. «Ils m'ont donné l'occasion de développer une équipe comme directeur du recrutement et directeur général. Montréal était une destination de choix pour les joueurs et les administrateurs.»

Duquette, malgré son côté bourru, comprenait mieux le marché québécois que ses prédécesseurs. Durant son séjour au Stade olympique, il a acquis le lanceur gaucher Denis Boucher et donné une chance à quelques espoirs québécois dans les rangs mineurs. Il a aussi rapatrié Gary Carter à Montréal, pour son émouvant dernier tour de piste.

Mais ses deux plus importantes décisions demeurent l'acquisition de Pedro Martinez («Nous étions parfaitement au courant de son potentiel et de son désir de vaincre») et la nomination de Felipe Alou («Le meilleur gérant de l'histoire des Expos»).

Duquette ajoute avoir appris durant la conférence de presse annonçant l'arrivée de Felipe aux commandes qu'il était le premier Dominicain à devenir gérant dans les majeures.

«On a choisi Felipe parce qu'il connaissait parfaitement l'organisation des Expos. Et il avait obtenu du succès comme gérant dans les mineures et dans le baseball d'hiver.»

Plus tard, avec les Red Sox, Duquette profita des petits budgets des Expos pour leur arracher Pedro Martinez dans un échange à sens unique. Sur le coup, ce dernier n'apprécia pas se retrouver à Boston. Duquette enrôla Juan Marichal, une légende dominicaine du baseball, pour le convaincre qu'il s'agissait d'une bonne destination pour lui.

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Pedro obtint beaucoup de succès à Boston, où il remporta la Série mondiale en 2004. Mais Dan Duquette n'était plus en poste, remercié deux saisons plus tôt. Il avait contribué à bâtir cette équipe, comme il avait participé à la construction des fabuleux Expos de 1994.

Dan Duquette rêve toujours de gagner la Série mondiale. Cette année sera-t-elle la bonne? Peu importe le parcours de ses Orioles cet automne, l'ancien DG des Expos a prouvé être toujours un solide homme de baseball.