Sur la glace, Marc Bergevin n'a jamais eu le talent d'autres défenseurs de sa génération, comme Phil Housley ou Al MacInnis. Sa carrière de 20 saisons dans la LNH, il la doit à son cran et à sa fiabilité. Mais aussi au fait qu'il était un véritable joueur d'équipe.

Ce parcours de battant a façonné sa conception du sport. Et explique pourquoi il ne mènera pas la charge pour éliminer les bagarres du hockey. «Je n'ai aucun problème si on les enlève, mais je n'ai aucun problème non plus si on les garde, m'a-t-il dit cette semaine. Donnez-moi les paramètres, et on s'ajustera.»

Il y a longtemps que je voulais aborder ce sujet brûlant avec le directeur général du Canadien. L'occasion s'est présentée la veille du premier match de la série contre le Lightning. Au fil de notre échange, Bergevin a raconté un incident survenu lorsqu'il portait les couleurs des Blues de St. Louis, à la fin des années 90.

«Dans un match contre Vancouver, Dave Scatchard a ramassé Pavol Demitra, qui ne l'a jamais vu venir. Je suis parti après Scatchard. Mon coéquipier était étendu sur la patinoire et je devais le défendre. Tu n'as pas le temps de penser dans une situation pareille. Ça arrive tellement vite...

«Moi, quand j'enfilais mon uniforme, la dernière chose que je souhaitais, c'était de me battre. Mais je le faisais pour protéger mes coéquipiers ou si un adversaire s'en prenait abusivement à moi. Je devais faire face à la musique.»

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En novembre dernier, en marge d'une réunion des directeurs généraux à Toronto, Bergevin a déclaré que les bagarres ne constituaient pas «une épidémie» dans la LNH.

Plusieurs de ses homologues partagent cet avis. Sans se faire les apologistes des combats à la manière d'un Brian Burke, ces DG estiment que leurs conséquences ne sont pas assez graves pour justifier une modification des règlements.

En revanche, d'autres DG, comme Steve Yzerman (Lightning), Ray Shero (Penguins) et Jim Rutherford (Hurricanes), sont d'avis que les bagarres, en raison des traumatismes crâniens et des commotions cérébrales qu'elles entraînent, devraient être abolies. Une droite au visage est en effet un coup à la tête qui pourrait facilement être enrayé.

Lorsque je rappelle à Bergevin qu'un de ses propres joueurs, Travis Moen, est absent du jeu en raison d'une commotion cérébrale subie durant une bagarre, il réplique que le hockey est «un jeu d'émotions».

Ce jour-là, Moen a laissé tomber les gants pour défendre un coéquipier malmené par un joueur des Bruins de Boston. Bergevin ne le lui reprochera pas. Un bon coéquipier, croit-il, doit défendre ses camarades.

«Se battre pour se battre, comme dans les années 70, c'est inutile. Mais si ton meilleur joueur se fait blesser, tu dois réagir à la situation. Est-ce que ça finit par une bagarre? Pas nécessairement, mais tu dois réagir.»

Bergevin pense que les bagarres finiront par disparaître de la LNH. «Il y en a beaucoup moins qu'avant», rappelle-t-il.

Cette saison, leur fréquence a en effet chuté de 40% par rapport à 2003-2004. Mais comme le notait mon collègue Gabriel Béland plus tôt cette semaine, le Canadien pointe au cinquième rang des clubs qui se battent le plus souvent.

En obtenant les services de George Parros l'été dernier, Bergevin a montré qu'il trouvait utile ce genre de joueur. L'expérience n'a cependant pas été un succès. Parros a été victime de commotions cérébrales et son apport à l'équipe a été nul.

«On n'est pas une équipe qui intimide, dit Bergevin. Mais on est dans une division très physique. Il fallait que je protège nos joueurs. Quand tu es installé dans un quartier tough, tu as deux choix: tu achètes un système d'alarme ou tu déménages. Moi, je ne peux pas déménager dans une autre division. Alors je mets un système d'alarme. Et si le quartier devient moins tough, je m'ajusterai.»

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Dans l'esprit de Bergevin, les bagarres ne sont pas l'élément le plus violent du hockey.

«Lorsque tu jettes les gants, tu sais qu'il y a des chances que tu te fasses frapper, dit-il. Si tu me donnes le choix, je préfère recevoir un coup de poing dans la face qu'un coup de coude que tu ne vois pas venir. Le coup sournois est plus dangereux, puisque tu n'es pas protégé et que tu ne vois rien arriver...»

C'est en plein le genre de coup que Douglas Murray, du Canadien, a servi à Mike Kostka, du Lightning, dans la dernière ligne droite de la saison. «Je ne veux voir aucun joueur blessé, que ce soit un des miens ou un autre, dit Bergevin. J'ai parlé à Murray après le match, il se sentait tellement mal.

«Moi aussi, il m'est déjà arrivé une chose semblable. J'allais mettre en échec Mike Hough, des Panthers, mais il a bougé à la dernière seconde, et j'ai comme paniqué. J'ai un peu sorti le genou pour l'arrêter. Mon instinct m'a guidé, mais je ne voulais pas le blesser. Quand j'ai réalisé ce que j'avais fait, je me suis dit: «My God, je pense que je lui ai déboîté le genou...» Heureusement, il s'en est tiré avec une crampe.»

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Bergevin le dit lui-même. Il est un jeune directeur général dans la LNH. Son but est de transformer le Canadien en équipe championne, et non pas de convaincre la LNH de modifier ses règlements.

Sur ce plan, le Canadien ne sera pas un agent de changement. À mon avis, c'est regrettable. Mais je suis heureux que Bergevin ait enfin énoncé sa vision des choses. Au moins, si la LNH entend un jour le bon sens dans ce dossier, l'organisation se ralliera à la décision.