Combien êtes-vous prêts à payer pour un banana split? Même si vous adorez la crème glacée et qu'on vous sert la préparation dans un casque de baseball souvenir, la somme de 17$ vous semblera sûrement excessive. Pareil pour un hot-dog à 25$, quand bien même il est gigantesque et déborde de fromage et de bacon.

Voilà pourtant les prix versés par les partisans des White Sox de Chicago et des Diamondbacks de l'Arizona pour goûter à ces délices de la cuisine américaine. D'autres organisations du baseball majeur proposent aussi des plats comptant plus de calories que la somme de tous les points marqués par l'équipe en une saison.

Bien sûr, l'affaire relève de l'anecdote. Des hot-dogs moins coûteux sont aussi proposés dans les stades d'Amérique. Elle fournit néanmoins une superbe métaphore pour illustrer l'inflation qui frappe le sport national des Américains. Salaires des joueurs, revenus des contrats de télévision et prix du banana split, tout est en hausse.

Tenez, voici une autre histoire abracadabrante, celle de Max Scherzer, un lanceur partant des Tigers de Detroit, vainqueur du trophée Cy-Young la saison dernière. Son équipe lui a récemment proposé un contrat de 144 millions pour 6 ans, soit en moyenne 24 millions par saison. Et vous savez quoi? Scherzer a refusé!

Scherzer, qui aura 30 ans en juillet prochain, a manifestement foi en sa bonne étoile. Rien ne garantit qu'il répétera ses exploits de 2013 ou qu'il ne subira pas de blessure grave. Mais compte tenu des fortunes qui sont versées aux meilleurs joueurs, il est prêt à prendre ce risque.

Pourquoi? Parce qu'il deviendra joueur autonome à la fin de la saison. Et il sait que Clayton Kershaw, sans doute le meilleur lanceur des majeures, a établi un nouveau seuil de rémunération l'hiver dernier. Les Dodgers de Los Angeles lui ont accordé 215 millions pour 7 ans. Il est ainsi devenu le premier joueur à obtenir un salaire annuel moyen de 30 millions et plus.

Kershaw n'est âgé que de 26 ans. Les Dodgers lui ont donc attribué le gros lot en toute confiance. D'autant que leur nouveau contrat de télévision locale leur rapportera 8 milliards au cours des 25 prochaines années!

Hélas pour eux, Kershaw a ressenti un malaise au dos la semaine dernière et ratera le reste du mois d'avril. De quoi inquiéter la direction de l'équipe. Et faire réfléchir Scherzer.

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Alors, compte tenu de ces chiffres extravagants, vaut-il mieux oublier le retour du baseball majeur à Montréal, comme le suggère le Conference Board?

La présence de 96 000 spectateurs aux deux matchs du week-end dernier entre les Blue Jays et les Mets a relancé la discussion à ce sujet. Le test était significatif. Car si seuls quelques milliers de mordus s'étaient déplacés au Stade olympique, ce dossier aurait perdu tout élan.

Paul Beeston, le président des Blue Jays, avait informellement fixé la note de passage à 25 000 personnes par rencontre. Pour lui, et pour tout le baseball majeur, la surprise a été colossale.

John McHale fils, représentant du commissaire, a eu cette réaction significative: «Notre perception de Montréal était celle d'un marché ayant perdu un peu du vif enthousiasme qu'il avait déjà eu pour le baseball. Ce week-end nous forcera à repenser cette opinion et à réévaluer la popularité de notre sport ici.»

Le baseball majeur est sûrement heureux de la tournure des événements. Les ligues professionnelles aiment compter sur des villes qui souhaitent accueillir une équipe si les choses tournent mal dans un autre marché. Cette police d'assurance, absolument gratuite, donne aux organisations à la recherche d'avantages financiers un atout dans leurs négociations avec les autorités locales.

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Pas de doute là-dessus, l'inflation est extravagante dans le baseball majeur. La bonne nouvelle, c'est que ce phénomène se répercute aussi au niveau du partage des revenus.

Cette saison, par exemple, chaque équipe touchera 50 millions grâce aux revenus de télévision nationale. Les équipes doivent aussi mettre en commun le tiers de leurs revenus de télé locale.

De plus, les initiatives numériques du baseball majeur rapportent des dizaines de millions, qui sont aussi partagés. Bref, la situation a considérablement changé depuis 1995, année de la triste vente de feu des Expos.

Ce nouveau modèle financier serait intéressant pour les Expos 2.0. Paradoxalement, il donne aussi un coup de main aux équipes actuellement en difficulté, ce qui diminue leurs chances de déménager. Non, Montréal ne peut pas gagner sur tous les tableaux.

Cela dit, la question du retour du baseball se bute à une question incontournable: qui a 1 milliard à dépenser? C'était vrai lorsque Michael Fortier a été le premier membre de la communauté d'affaires à évoquer cette perspective en mars 2012. Ce l'est encore aujourd'hui.

Les revenus de télévision locaux causent aussi une incertitude. Dans plusieurs villes du baseball majeur, ils sont en nette hausse. Un peu à la manière des droits du hockey au Canada. Des néo-Expos généreraient-ils des dizaines de millions à ce chapitre? Chose sûre, la viabilité du projet l'exigerait.

Il faudrait aussi valider sérieusement le réel intérêt des amateurs. À Winnipeg, par exemple, le retour des Jets dans la LNH était lié à la vente de 13 000 abonnements saisonniers. Les acheteurs devaient s'engager pour un minimum de trois ans. Et le défi a été relevé avec succès.

Depuis le week-end dernier, on sent que l'idée de ramener les Expos suscite une certaine effervescence. Tant mieux. Mais pour maintenir le rythme, il faudra que d'éventuels investisseurs annoncent leurs intentions d'ici la fin de 2014.

Si c'est le cas, on mangera un banana split à leur succès.

(Sources: ESPN, Fox, CBS)