Les trois soeurs Dufour-Lapointe racontaient leur fabuleux parcours depuis une vingtaine de minutes lorsque la voix de Chloé a craqué.

«La base, ce sont nos parents, a-t-elle lancé, entre deux sanglots. Je me souviens de mon père qui nous construisait un saut au chalet pour qu'on s'entraîne. Et de ma mère qui nous encourageait. J'ai tellement pensé à eux au cours des derniers jours. Ils ont été nos premiers supporters...»

Dans la salle pleine de journalistes, l'émotion était à son comble. Les mots de Chloé venaient du coeur. Comme si la jeune femme voulait à son tour remettre une médaille à ses parents, Yves Lapointe et Johanne Dufour, assis près de leurs filles sur la tribune. Ces cinq-là sont tricotés serrés et en tirent une force exceptionnelle.

Au lendemain de l'historique doublé de Justine et Chloé en ski de bosses, la famille prenait enfin un peu de recul après ces instants magiques survenus sur la piste de Krasnaïa Poliana. La nuit avait été courte, mais leur bonheur transcendait la fatigue.

«J'étais stressée en me levant samedi, a expliqué Justine. Mais lorsque je suis arrivée devant la piste et que j'ai vu les bosses, je me suis sentie prête. La nervosité est partie. J'ai voulu tout donner, n'éprouver aucun regret. J'ai senti le tigre en moi...»

Justine a mis ses écouteurs et écouté Roar, une pièce où Katy Perry promet de rugir comme un tigre. Cette chanson lui donne de l'énergie. Avant de s'élancer pour la descente finale, elle a suivi les consignes de Wayne Halliwell, son psychologue sportif. D'abord, prendre de grandes respirations pour réduire la tension et retrouver la souplesse. Puis, répéter dans sa tête une phrase clé: «C'est mon moment, j'aime skier et je vais le faire pour moi».

Moins d'une minute plus tard, la médaille d'or était à elle. Le titre olympique ne la changera pas, a assuré Justine. «Sinon, mes soeurs me ramèneront très vite sur terre...»

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N'essayez pas de faire dire à Yves Lapointe que sa femme et lui ont consenti des sacrifices pour leurs filles.

«Ce n'est pas le bon mot, a-t-il expliqué. On a plutôt effectué des choix. Malgré ses diplômes, Johanne était prête à rester à la maison pour s'occuper d'elles. Et on a conservé nos valeurs: le respect envers tout le monde, mais aussi le droit d'accomplir les choses à notre façon.»

À ce chapitre, M. Lapointe affirme avoir beaucoup appris de Maxime, Chloé et Justine. «Moi, je suis ingénieur et mon approche est technique. Elles m'ont montré qu'on pouvait sortir des compartiments traditionnels pour s'épanouir, qu'il y a plusieurs chemins pour atteindre notre destination.»

L'attitude concernant l'école en constitue le meilleur exemple. M. Lapointe a grandi avec une conviction: les études sont la clé de tout. Mais concilier une carrière sportive internationale avec un parcours scolaire traditionnel est impossible.

On a trouvé un compromis: les filles se sont engagées à demeurer aux études. Mais les parents, qui célébreront leurs 30 ans de mariage cette année, ont accepté que les échéances habituelles d'obtention de diplômes soient repoussées.

Skier aux quatre coins du globe, en quête de leur rêve olympique, aiderait aussi Maxime, Chloé et Justine à développer leur potentiel. Elles vivraient forcément des expériences uniques.

«J'ai fait confiance à mes enfants et la récompense est énorme, ajoute M. Lapointe. Elles sont épanouies et heureuses. On ne peut demander mieux.»

Yves Lapointe ne le mentionne pas, mais l'ouverture est aussi une valeur familiale.

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C'est Maxime, l'aînée des trois soeurs, qui a fait découvrir le ski de bosses à Justine et Chloé. Le sport est cependant cruel. À Sotchi, elle ne les a pas rejointes sur le podium, étant éliminée avant la manche finale.

«Je n'ai pas de regrets, a dit Maxime. J'étais bien préparée, j'ai donné tout ce que j'avais. Mais une erreur technique m'a coûté cher.»

Une famille doit afficher une solidarité à toute épreuve pour vivre, au même moment, les succès de deux de ses membres et la déception d'une troisième, comme ce fut le cas samedi. La rivalité sportive entre les soeurs Dufour-Lapointe est devenue une réalité incontournable dès le jour où elles ont concouru dans le même groupe d'âge.

«On est souvent revenus à la maison après une compétition avec une fille super contente de son résultat, une autre satisfaite et une autre déçue, explique Mme Dufour. On essayait de ramener tout ça à un niveau plus neutre pour que ce soit vivable à la maison.»

Mme Dufour se souvient de certaines décisions délicates. «Une année, Chloé a remporté le championnat junior mondial et Maxime a terminé en neuvième place. En allant les chercher à l'aéroport, on s'est demandé si on leur offrirait des fleurs. Et si oui, aux deux? Comment réagirait Maxime? Vous me donnez des fleurs pour ma neuvième place? Finalement, on n'en a pas apporté. A-t-on bien fait? Je ne sais pas...»

Chose sûre, Johanne Dufour n'aura jamais à douter des mots qu'elle a utilisés, hier, pour commenter la performance de ses filles. C'était très beau.

«En arrivant ici, j'avais déjà trois médailles d'or dans mon coeur, a-t-elle dit. Pour moi, l'important était le chemin parcouru par les filles pour se rendre à Sotchi. Et de voir les trois, je dis bien les trois, en haut du parcours aux Jeux olympiques. Ce sont de belles femmes, elles feront leur chemin dans la vie...»

Justine et Chloé sont aujourd'hui médaillées olympiques. Et Maxime, malgré les sentiments partagés que lui inspire sa performance, est heureuse pour ses soeurs. Les parents? Fiers de leurs trois belles filles.

Tout cela ne se serait jamais produit au sein d'une même famille sans beaucoup d'amour.

Vous savez quoi? C'est d'abord ça, le fabuleux parcours des Dufour-Lapointe: le triomphe de l'amour.

Un nouveau chapitre

La vie des soeurs Dufour-Lapointe est un tourbillon depuis samedi. Elles ont été interviewées par plusieurs chaînes de télévison, notamment CNN. Et Roger Federer a partagé avec son 1,3 million d'abonnés Twitter la photo de Justine et Chloé sur le podium.

«C'est le début d'un nouveau chapitre pour nous, reconnaît Justine. On est des athlètes, mais aussi des filles. On adore la mode, le maquillage... On aimerait créer notre propre marque destinée à des jeunes.»

Maxime ajoute que les conversations entre elles vont bon train. Le signe «3SDL», pour «3 Soeurs Dufour-Lapointe», est envisagé. «On aimerait inspirer la relève à adopter un mode de vie sain. On voudrait développer une marque à notre image.»

Pour l'instant, c'est toujours Johanne Dufour qui gère les affaires de ses filles. Mais on sent que Maxime, la plus cartésienne du groupe, occupera vite un rôle de leader dans ce domaine, même si elle poursuivra aussi sa carrière sportive.

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C'est la septième fois dans l'histoire des Jeux olympiques d'hiver que deux soeurs ou deux frères remportent les médailles d'or et d'argent dans une compétition individuelle.

Justine est aussi devenue la plus jeune médaillée d'or de ski acrobatique, hommes et femmes confondus.

Patinage artistique: le CIO pas inquiet

Le Comité international olympique (CIO) estime que les affirmations du journal L'Équipe, selon qui des juges américains et russes auraient envisagé un accord pour favoriser les patineurs artistiques de leur pays aux dépens des Canadiens, ne reposent pas sur des faits vérifiables.

«Je ne vois rien d'autre dans cet article qu'une source anonyme qui fait une allégation», a affirmé Mark Adams, porte-parole du CIO, hier. «Et c'est à la fédération de patinage d'examiner l'affaire, pas à nous.»

Dans un courriel au Chicago Tribune, l'Union internationale de patinage (ISU) a expliqué qu'elle ne réagisssait pas à des allégations sans preuve. De son côté, la fédération américaine a dit que cet article était «catégoriquement faux».

La délégation canadienne à Sotchi soutient qu'elle faisait confiance aux juges. Dans une entrevue à Canadian Press, Mike Slipchuk, directeur du programme de haute performance, a affirmé: «Je me tiens loin de ces choses-là. J'ai confiance que les patineurs feront leur travail sur la patinoire et que les juges jugeront ce qu'ils verront.»

Compte tenu du passé tourmenté du patinage artistique, et du sérieux du journal L'Équipe, les journalistes du monde entier surveilleront de près les juges au cours des prochains jours.