Au moment où des milliers d'athlètes, d'officiels, de journalistes et d'amateurs de sport convergent vers Sotchi en vue du début des Jeux vendredi, l'ambiance n'est pas entièrement à la fête. Les menaces terroristes ont une fâcheuse tendance à obscurcir le ciel.

Mais ne comptez pas sur Thomas Bach pour reconnaître cette évidence. «Désolé de vous le dire, mais je dors très bien. La peur est mauvaise conseillère», a déclaré le président du Comité international olympique (CIO), la semaine dernière, d'un ton fanfaron.

À l'approche des Jeux, M. Bach ne peut évidemment tenir un autre discours. Il doit montrer sa foi en la capacité du gouvernement russe d'assurer la sécurité des visiteurs. Mais à moins d'être déconnecté de la réalité géopolitique de la région, ce qui n'est sûrement pas son cas, impossible de faire abstraction du contexte particulier dans lequel ces Jeux se dérouleront.

Les deux attentats survenus en décembre dernier à Volgograd, 700 km au nord-est de Sotchi, combinés à la promesse d'un groupe terroriste de faire un «cadeau» à Vladimir Poutine et aux visiteurs durant les Jeux, ont augmenté la tension. Malgré tout, M. Bach se dit confiant que ces premiers Jeux sous sa présidence seront «couronnés de succès».

Dans le contexte actuel, des Jeux sans incidents dramatiques répondraient sans doute à cette définition. Nous en sommes hélas rendus là.

Mais peu importe les événements des trois prochaines semaines, le coût exorbitant des Jeux de Sotchi - 51 milliards de dollars - entraîne déjà des conséquences sévères pour le CIO. Ce n'est pas un hasard si le nombre de villes tentées par les Jeux d'hiver de 2022 a fondu comme neige au soleil.

L'an dernier, lors de référendums tenus en Suisse et en Allemagne, les citoyens de Davos/Saint-Moritz et de Munich ont repoussé l'idée d'une candidature olympique.

Ce verdict sans appel a ébranlé le CIO. Cela n'a toutefois pas empêché ses dirigeants de s'autocongratuler à la mi-novembre, lorsque six villes ont officiellement manifesté leur intérêt pour 2022: Stockholm (Suède), Oslo (Norvège), Almaty (Kazakhstan); Pékin (Chine); Lviv (Ukraine); et Cracovie (Pologne).

«Ces villes saisissent clairement les avantages que présente l'accueil des Jeux olympiques et l'héritage durable qu'une édition des Jeux peut avoir sur une région», a alors déclaré Thomas Bach.

Qu'en est-il aujourd'hui? Stockholm s'est déjà désistée, citant le risque associé à l'aventure.

En Norvège, les citoyens d'Oslo ont approuvé le projet. Mais voilà que le gouvernement central hésite à fournir les garanties financières. Une majorité de Norvégiens (58%, selon un sondage) s'opposent à cet appui, un chiffre qui fait réfléchir les élus. Le gouvernement rendra sa décision cette année.

Si Oslo se retire, quatre villes demeureront en lice. Mais elles devront franchir une évaluation initiale avant d'être officiellement candidates. Le CIO fera-t-il confiance au Kazakhstan pour organiser un événement de cette ampleur? Et compte tenu de son instabilité politique, l'Ukraine est-elle une prétendante logique?

La Chine, bien sûr, possède les ressources pour accueillir les Olympiques. Mais le CIO voudra-t-il retourner si tôt à Pékin, site des Jeux d'été de 2008? Il s'agirait des troisièmes Jeux consécutifs en Asie du Sud-Est, après Pyeongchang 2018 (hiver) et Tokyo 2020 (été).

Dans ce contexte, Cracovie, comme le mentionnait récemment le site spécialisé Francs Jeux, pourrait «s'imposer comme un choix par défaut».

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Si le CIO veut de nouveau tenir les Jeux dans des pays où les citoyens sont consultés par référendum, il devra redéfinir ses attentes et respecter les préoccupations financières et environnementales des contribuables. L'exercice sera ardu pour un organisme si souvent déconnecté de la réalité.

Un exemple: l'automne dernier, j'ai discuté avec René Fasel. Président de la Fédération internationale de hockey sur glace, il est aussi membre de la Commission exécutive du CIO, en quelque sorte le conseil des ministres de Thomas Bach.

Dans l'esprit de M. Fasel, les médias étaient en grande partie responsables des résultats du référendum de Munich. «C'est une fausse image de dire que les Jeux coûtent cher», m'a-t-il dit, sans cligner des yeux.

Étonnant, vous dites? Pas vraiment! Dans l'esprit des princes du CIO, les Jeux sont une affaire de 2 ou 3 milliards de dollars, sans plus. Ils tiennent uniquement compte des coûts d'organisation et excluent les dépenses d'infrastructures. Cela, c'est l'affaire du gouvernement hôte, pas la leur.

Dès le milieu des années 70, cette comptabilité sélective leur a permis d'affirmer que les Jeux de Montréal avaient bouclé leur budget!

Thomas Bach ne s'annonce pas comme un réformateur. Il a justifié la facture de Sotchi en expliquant que la Russie utilisait les Jeux comme «catalyseur» pour créer une nouvelle région de sports d'hiver.

Bref, le CIO se lave les mains de cette inflation galopante, dont il est pourtant en partie responsable.

En choisissant des villes qui promettent des investissements colossaux, en exigeant le dernier cri en matière de stades et de transport, le CIO lance un message clair aux candidates: défoncez votre budget et tant pis si le pays en paie longtemps les conséquences, comme ce fut le cas de la Grèce, après les Jeux d'Athènes en 2004.

Une ville plus consciente de ses responsabilités, misant d'abord sur la mise à niveau d'installations existantes, est vite écartée. Madrid, candidate malheureuse aux Jeux d'été de 2020, l'a constaté.

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En évoquant les mérites des Jeux olympiques, le CIO évoque toujours le merveilleux «héritage» laissé par leur présentation.

Ceux de Sotchi ne sont pas encore commencés. Mais ils ont déjà laissé un premier héritage à la Suisse, l'Allemagne et la Suède, qui ont refusé l'aventure olympique. Comme la Ville de Québec l'a fait deux ans plus tôt, lorsqu'une candidature en vue de 2022 a été évoquée.

Dans le contexte actuel, où la folie des grandeurs ne se dissipe pas, ce fut le bon choix.